induction

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin inductio, « action de conduire vers ou dans » (inducere), traduction du grec epagôgè.


L'induction est le processus intellectuel qui fonde des généralisations sur des faits observés, des cas individuels, qui remonte de la connaissance des faits à celle des lois qui les régissent. Si Aristote s'intéresse au rôle de l'induction(1), notamment dans les syllogismes, c'est Hume qui souligne le danger de l'induction.

Philosophie Générale

Opération mentale consistant à passer de la constatation d'un ou de plusieurs faits à la loi de tous les faits du même genre.

Hume présente une double critique de l'induction, qui ne peut constituer ni un fondement logique ni un fondement ontologique. Hume stigmatise le caractère amplifiant de l'induction, c'est-à-dire le fait que l'information contenue dans la conclusion dépasse celle qui est contenue dans les propositions initiales. Comment légitimer la généralisation d'une observation sur des faits limités ? Le problème est celui du fondement de l'induction : qu'est-ce qui justifie le passage de faits particuliers à la loi universelle ? Pour Hume, l'induction n'est rien d'autre qu'un phénomène d'habitude qui crée une croyance en l'existence d'une régularité ou d'une loi, constituant ainsi un véritable obstacle épistémologique. Mais Hume avance aussi l'idée que l'induction, plus qu'une habitude puissante de l'esprit, est l'expression spontanée de l'activité intellectuelle et, peut-être même, le paradigme de notre mode de connaissance : notre esprit ne commence pas par des généralités. C'est parce qu'elle est « cette première démarche par laquelle la pensée entre en contact avec la réalité »(2) que l'induction en tant que point nodal de la science, grande préoccupation contemporaine, redevient sujet philosophique au xixe s. À cette époque où la philosophie se rapproche des sciences positives, l'induction offre un intérêt pratique, de par son rôle dans la méthode épistémologique. Mais que dire de la logique de l'induction ? C'est l'une des questions qui retient l'attention de la philosophie des sciences au xxe s. Pour Popper, l'induction n'est pas valide logiquement, seul le raisonnement par déduction peut fonder une véritable connaissance, d'où une conception hypothético-déductive de la science, qui progresse alors par réfutation (de la théorie par les expériences) plutôt que par confirmation.

Claire Marin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Premiers Analytiques, II, ch. 23. Voir aussi Organon, Topiques, I, 12.
  • 2 ↑ Lachelier, J., Du fondement de l'induction, p. 69, Pocket, Paris, 1993.
  • Voir aussi : Popper, K., le Réalisme et la Science (1956), « L'induction », Hermann, Paris, 1990.
  • Reid, T., Essais sur l'entendement humain d'après les principes du sens commun, ch. III : « Du raisonnement probable », trad. T. Jouffroy, Masson, Paris, 1825.
  • Scheffler, I., Anatomie de la science, « Le défi de Hume et la formule de généralisation », trad. P. Thuillier, Seuil, Paris, 1966.

→ déduction, généralisation, inférence, logique

Épistémologie

Formulation d'un énoncé général à partir de la constatation d'un ensemble de faits particuliers. Ce terme est utilisé pour décrire des types de raisonnements très différents, qui ne se ramènent pas tous à cette définition courante.

Signification courante

S'il ne fait pas de doute que nous généralisons quotidiennement à partir de faits particuliers répétitifs, ce genre de raisonnement s'accompagne pourtant de graves difficultés, car la répétition passée d'un nombre fini de cas ne garantit jamais strictement la répétition future de ces cas.

L'induction a donc pour première caractéristique de n'être jamais totalement certaine, quand bien même ses prémisses seraient vraies. Elle se distingue en cela de la déduction, raisonnement toujours logiquement valide, dont la vérité effective ne dépend que de la vérité des prémisses. On ajoute souvent que la déduction, à l'inverse de l'induction, conduit du général au particulier, mais cela n'est qu'approximatif, car la déduction conduit aussi bien du particulier au particulier, ou du général au général (cf. « déduction »).

En second lieu, l'induction possède un grande force de suggestion psychologique, alors même qu'elle n'est pas assurée d'être logiquement valide. À moins d'y renoncer, il faut donc examiner dans quelle mesure son emploi est rationnellement fondé dans chaque application particulière.

L'induction du particulier au particulier

L'induction ne remonte pas uniquement du particulier au général, mais peut aussi conclure à un fait particulier à partir d'autres faits. C'est le cas lors d'une enquête : on part d'une situation donnée, puis on remonte, d'événement en événement, jusqu'à l'origine de la situation.

Lorsque la conclusion n'est qu'hypothétique, on parle aussi d'abduction. C. S. Pierce distingue nettement l'induction (épagogè, en grec) de l'abduction (apagogè), en considérant l'abduction comme une procédure heuristique complémentaire de l'induction (qui, elle, viserait l'établissement de véritables lois, et non de simples hypothèses).

L'induction complète en logique

Elle est aussi appelée « induction énumérative ». Aristote étudie son fonctionnement dans les Premiers Analytiques (II, 23). Elle consiste à attribuer à l'ensemble des éléments d'une classe une propriété qui a été observée pour chacun de ces éléments. Cette procédure est logiquement valide pour autant que tous les éléments ont été inspectés, et que la classe n'en contient aucun autre.

L'induction complète en mathématiques, ou « raisonnement par récurrence »

Si des procédures proches sont déjà attestées chez Pascal et Fermat, c'est cependant à Poincaré(1) que l'on attribue communément la formulation moderne de ce type d'induction. Ce raisonnement vise à prouver un énoncé mathématique E dépendant d'une certaine variable n. On montre d'abord que E(n) est vrai à un certain rang n particulier. Puis on prouve que E(n + 1) est vrai si E(n) est vrai. On prouve par là même que, à partir d'un rang donné, E(n) est toujours vrai, puisque la vérité de l'énoncé est conservée à chaque incrément de n.

Ce raisonnement s'impose avec une telle force que Poincaré le considérait comme un exemple parfait de principe « synthétique a priori ».

L'induction amplifiante

C'est le type commun d'induction, qui « amplifie » (ou « généralise ») des résultats particuliers. Cette procédure est recensée par Aristote(2) et valorisée par Bacon(3). Mais, dès son Traité de la nature humaine, Hume met en doute, dans le cas particulier de la causalité, les prétentions de ce raisonnement à valoir d'une manière universelle, tout en lui reconnaissant une grande force psychologique. La tradition empiriste, parmi laquelle notamment J. S. Mill, s'est appuyée sur cette efficacité de la répétition pour définir la méthode scientifique. Mais certains rationalistes, tels Kant et Lachelier, ont tenté de lui fournir un fondement plus solide en prétendant le faire reposer sur des principes a priori (comme la causalité ou l'uniformité de la nature). Si, cependant, à l'instar les positivistes logiques, on ne reconnaît pas la légitimité de ce recours fondationnel, on est réduit à ne tirer de l'induction que des probabilités.

Mais le recours à la probabilité inductive ne règle pas tout. D'une part, parce que les probabilités ont reçu des statuts très différents selon les auteurs (interprétations fréquentielle, propensionniste, subjectiviste, logiciste ; cf. « probabilité »). D'autre part, les tentatives de justification sont presque toujours circulaires : on tente de justifier le recours à l'induction par le constat que ses prédictions ont généralement été réalisées, et donc que l'on peut s'y fier à l'avenir (on suppose alors précisément la validité de ce qu'on veut prouver). Enfin, des paradoxes sont venus troubler les théories qui tentaient de fonder l'induction probabiliste sur des procédures de confirmation(4).

Les étranges paradoxes de Hempel et de Goodman, que nous pouvons seulement mentionner ici, sont les deux plus fameux. Le premier établit que, dans un cadre standard, la confirmation d'un énoncé tel que « tous les corbeaux sont noirs » est renforcée par l'observation de tout objet non noir autre qu'un corbeau, par exemple un cygne blanc(5) ! Le second (sur les émeraudes « bleues ») prouve que certains exemples sont susceptibles de confirmer certains prédicats incompatibles(6).

Devant de telles difficultés, certains, comme Popper, ont rejeté tout recours à l'induction. D'autres s'essayent toujours à lui trouver un fondement inébranlable. D'autres enfin, tel J. Hintikka, plus respectueux de la réalité polymorphe des pratiques cognitives, l'acceptent pour sa fécondité au moins locale, tout en se résignant à ne pas la fonder sub specie æternitatis.

Alexis Bienvenu

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Poincaré, H., La science et l'hypothèse (1902), Flammarion, 1968.
  • 2 ↑ Aristote, Topiques, I, 12.
  • 3 ↑ Bacon, Fr., Novum organum.
  • 4 ↑ Barberousse, A., Kistler, M., Ludwig, P., la Philosophie des sciences au xxe siècle, Flammarion, 2000, chap. 2.
  • 5 ↑ Hempel, C.G., Aspects of Scientific Explanation, New York, The Free Press, 1965.
  • 6 ↑ Goodman, N., Faits, Fictions et Prédictions (1954), Minuit, 1984.

→ confirmation (théorie de la), déduction, probabilité