hérésie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec hairesis, « choix », « option » et, par extension, « adhésion à une doctrine ».

Philosophie de la Religion

Courant de pensée, école ou parti qui, sur des matières doctrinales, adopte une position singulière, opposée à la thèse dominante.

En grec, le mot sert à désigner les différentes traditions ou écoles qui se disputent la vérité dans un domaine du savoir : il y a donc des hérésies en physique ou en philosophie comme en médecine ou en logique. Le terme n'a pas alors de valeur spécifiquement religieuse, et permet simplement de décrire le fait même de la coupure entre des positions doctrinales différentes, que leur opposition rend mutuellement extérieures les unes aux autres. C'est l'examen des positions des différentes sectes qui occupe ainsi fréquemment les premiers chapitres des traités aristotéliciens(1).

Très tôt, le mot est adopté par les chrétiens hellénophones pour désigner les « partis » qui se forment parmi les premières églises. En l'absence d'une autorité doctrinale unique et reconnue, le dogme se fixe dans le tâtonnement des communautés éparses (une part importante des épîtres de saint Paul est destinée à redresser ces dérives et à maintenir l'unité de l'Église primitive contre ces « coupures »).

Ces hérésies vont jouer un rôle décisif dans l'élaboration du dogme lui-même : c'est en effet en combattant les « erreurs » successives de l'arianisme, de l'adoptionisme ou du nestorisme que les penseurs chrétiens vont progressivement développer les argumentaires susceptibles de définir le corps de doctrines « droites » par rapport auquel les hérésies seront jugées extérieures(2). Dans ce sens les hérésies ne cessent de jouer, tout au long du premier millénaire de l'Église, le rôle d'outil de la formulation du dogme : la réfutation des positions extérieures est le moyen même de la constitution de la position intérieure(3) (ainsi les censeurs, exagérant le dogme pour réfuter une hérésie, tombent dans l'hérésie contraire et sont à leur tour condamnés, de sorte que le jeu constant des contradictions détermine les limites internes de l'orthodoxie). Par ailleurs, des premiers siècles de l'Église jusqu'à la Renaissance, les hérésies renvoient aussi à des réalités socio-politiques fortes : « moments » de la formulation technique du dogme, les hérésies sont aussi des « outils » de la résistance politique à l'Empire.

Cependant le fonctionnement même de ce mouvement de constitution de l'orthodoxie par la balance des erreurs suppose que le dogme soit accessible à l'argumentation et à la preuve discursive. Lorsque l'unité de l'Église l'emporte sur la vie de la doctrine, les hérésies perdent leur utilité, et l'élaboration d'une raison commune des matières religieuses laisse place à la pure et simple négation : l'hérésie est alors considérée comme non seulement extérieure à la raison dominante, mais étrangère et attentatoire à toute raison possible. La place même de l'hérésie tend alors à se transformer : elle passe pour ainsi dire du dehors au dedans et devient l'objet d'une enquête permanente visant à repérer dans la conscience même de chaque croyant les ferments possibles d'une pensée qui, dès lors qu'elle n'est pas strictement conforme à la vérité unique, entraîne sa coupure d'avec la communauté.

Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Voir par exemple De l'âme, I, 2-5, tr. R. Bodéüs, GF, Paris, 1993, p. 89-133 ; ou Physique, I, 2-4, tr. P. Pellegrin, GF, Paris, 2000, p. 71-91.
  • 2 ↑ Le traité le plus emblématique de ce procédé est probablement le Contre les hérésies (120) d'Irénée de Lyon, tr. A. Rousseau, Cerf, Paris, 1991 ; mais Augustin lui-même est l'auteur d'un De hæresibus.
  • 3 ↑ Boèce élabore ainsi la notion de « personne » à l'occasion des controverses christologiques qui marquent la période des grands conciles œcuméniques : voir le Contre Eutychès et Nestorius (ca. 512), tr. A. Tisserand, in Traités théologiques, GF, Paris, 2000, pp. 63-67.

→ foi, vérité