classe

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin classis.

Politique, Sociologie

Groupe d'individus constituant au sein d'une société un sous-ensemble caractérisé par son statut socio-politique et / ou sa position économique.

Toutes les sociétés historiquement connues se caractérisent par des différences de statut politique ou socio-économique entre leurs membres. Les Romains connaissaient cinq classes (pluriel de classis). Elles ne correspondent toutefois pas plus aux états de l'Ancien régime qu'aux classes économiques dont parle le marxisme. Les classes romaines sont issues de la réforme du census et de la composition des centuries par le roi Servius Tullius (ve-ive s. av. J.-C.). Contraints de déclarer leurs revenus les citoyens romains furent désormais classés, tant pour l'accès à l'exercice de la citoyenneté que pour leur service dans l'armée, selon leur fortune(1). S'il était donc originellement lié à un statut à la fois socio-économique et politique, ce n'est que progressivement, au fur et à mesure de la mise en question d'un ordo voulu par Dieu au sein duquel les états ou ordres sociaux avaient leur place assignée, que le terme de classe acquit un sens politique spécifique. Dans l'Encyclopédie, il n'est encore question que des ordres et des états, et A. Smith n'utilise le terme de classe que pour caractériser des statuts particuliers au sein des états(2).

Les physiocrates (Necker, Quesnay, Turgot) ont fortement contribué à la spécification à la fois politique et économique du terme de classe, mais dans les limites de leur théorie. Ainsi Quesnay oppose la « classe productive », qui travaille la terre, à la « classe des propriétaires » (nobles et bourgeois qui la possèdent) et à la « classe stérile », qui est extérieure à la production de la richesse et ne s'occupe que de sa gestion. Turgot distingue quant à lui la « classe productive » de la « classe stipendiaire », qui tire ses revenus d'une autre source que le travail de la terre ; mais il perçoit que la classe productive se décompose en propriétaires et en non-propriétaires et crée la catégorie de « classe disponible » pour désigner ceux qui peuvent se consacrer aux fonctions politiques et militaires.

Pendant la période révolutionnaire, la « classification » se politise. Sieyès parle de quatre classes de citoyens utiles (agriculture, artisanat et industrie, commerce, services) et lorsqu'il envisage les quatre « fonctions publiques » (noblesse d'épée, noblesse de robe, clergé, administration), il ne reconnaît qu'à la dernière une véritable utilité et qualifie la noblesse et le clergé de « classes inutiles ». C'est également dans le contexte révolutionnaire qu'apparaît l'expression « classe ouvrière »(3). Dans cette politisation et cette spécification socio-économique, le saint-simonisme fait figure de diversion. Certes la « classe des industriels », productive, s'oppose à la « classe bourgeoise », improductive, et à la « classe noble », tout aussi improductive, et saint Simon prédit la prise du pouvoir par la classe des industriels. Mais celle-ci recouvre à la fois les industriels, les manufacturiers, les commerçants, les banquiers et la masse des artisans et des salariés. Le mérite de saint Simon réside plutôt, à terme, dans la création de la notion de « classes intermédiaires » pour désigner les couches de la noblesse et de la bourgeoisie vouées à être dépassées par l'évolution économique. Marx ne négligera pas cet apport dans son Manifeste communiste lorsqu'il formulera l'idée de la polarisation de la société en deux classes antagonistes. À cet égard, Blanqui est également un maillon important ; il distingue les « classes très élevées » et les « classes laborieuses » mais tient compte lui aussi de la « classe moyenne ».

Marx s'efforce de remettre à plat toute cette sociologie balbutiante. Pour lui « l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes de classes »(4). Le premier chapitre du Manifeste communiste (1848) énumère les formes prises par ces luttes : entre hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, maîtres et compagnons, etc. Si cette déclaration provocante assimile les classes romaines, les états de l'Ancien régime et les classes qui se constituent dans le mode de production capitaliste, la conception économique de la société et de l'histoire définit les classes stricto sensu par les rapports de production. Un noble ne cesse pas d'être noble s'il devient capitaliste ; la bourgeoisie, quant à elle, est partie du tiers-état ; elle devient une classe en tant que propriétaire des moyens de production. « Le capital n'est pas une puissance personnelle, il est une puissance sociale »(5). Au fur et à mesure de l'accumulation et de la concentration du capital, l'histoire européenne moderne a en quelque sorte simplifié la structure sociale en dressant face à face une classe de moins en moins nombreuse de capitalistes et une classe de plus en plus nombreuse de prolétaires – ainsi nommés parce que ce processus implique nécessairement une aggravation de l'exploitation. La classe n'est cependant pas uniquement un concept économique ; c'est aussi, dès l'Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1844) et dans le Manifeste communiste, un concept politique et sans doute le concept-pivot de la conception marxienne de la praxis. Il n'y a pas à proprement parler de classe sans conscience de classe. C'est de cette proposition que se réclame Lukács dans Histoire et conscience de classe (1923). Dans la démarche hégélienne de l'Introduction de 1844, la classe en soi (économique) doit devenir classe pour soi (consciente de soi, apte à s'organiser et à agir).

Le Manifeste définit quant à lui ainsi la lutte de classes : « Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les autres partis prolétariens : constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination de la bourgeoisie, conquête du pouvoir politique par le prolétariat »(6). Le prolétariat ne conquiert cependant pas le pouvoir politique pour exercer à son tour une domination de classe. Non seulement dans l'Introduction et dans le Manifeste, mais dans toute l'œuvre de la maturité, la conception selon laquelle le prolétariat, classe radicalement exploitée, tendanciellement vouée à n'être rien, est du même coup investie de la mission de libérer toute l'humanité se maintient : « Lorsque dans la lutte contre la bourgeoisie, le prolétariat s'unit nécessairement en une classe, qu'il s'érige en classe dirigeante par une révolution et que, classe dirigeante, il abolit du même coup les conditions d'existence de l'opposition des classes, les classes en général et par suite sa propre domination de classe. À la vieille société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classes se substitue une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »(7). La dictature du prolétariat ne saurait être que transitoire ; elle doit conduire à la société sans classes(8).

Si l'usage marxiste du terme (en allemand : Klasse) a constitué une clarification épistémologique décisive, le terme de classe tant dans son acception sociologique empirique que dans son acception politologique (« classe dirigeante ») reste plus vague (le marxisme parle quant à lui de « classe dominante »)(9). L'usage empirique a son origine chez M. Weber, dans le concept de « situation de classe »(10), qui a pu servir à dépolitiser la notion de classe pour en faire une instrument de caractérisation de la stratification sociale en fonction de critères de revenus, de culture, d'accès aux fonctions, etc. La « classe dirigeante » au sens politologique se recrute, selon les régimes politiques, tout autant dans l'establishment économique que parmi les élites intellectuelles, les apparatchiks et les caciques des systèmes politiques représentatifs(11). C'est aussi l'usage que font du concept de classe des sociologues comme Bourdieu(12). Même dans le registre strictement socio-économique la notion de classe prend des contours flottants lorsqu'il est question des « classes moyennes ». La pensée marxiste n'a d'ailleurs pas été insensible à ce flou, qu'elle a bien plutôt traité comme une donnée essentielle de la lutte des classes, envisageant la polarisation politique du conflit économique fondamental comme « hégémonie » (R. Luxemburg, A. Gramsci) permettant d'agréger à un noyau prolétarien des oppositions politiques et socio-économiques non prolétariennes. Dans le Manifeste communiste, Marx avait du reste encouragé cette démarche politique.

Gérard Raulet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cf. Tite Live, Histoires (Ab urbe condita), I, 42, 43.
  • 2 ↑ Smith, A., Inquiry into the Nature and the Causes of the Wealth of Nations, Londres, 1776, cf. Introduction, I, 10 et IV, 9.
  • 3 ↑ Frey, M., les Transformations du vocabulaire français à l'époque de la révolution, Paris, 1925.
  • 4 ↑ Marx, K., Manifeste du parti communiste, Flammarion, Paris, 1998, p. 73.
  • 5 ↑ Ibid., p. 93.
  • 6 ↑ Ibid., p. 92.
  • 7 ↑ Ibid., p. 102.
  • 8 ↑ Marx, K., Lettre du 5 mars 1852, MEW, 28, 508.
  • 9 ↑ Aron, R., « Classe sociale, classe politique, classe dirigeante » in Archives européennes de sociologie, vol. I, 1960.
  • 10 ↑ Weber, M., Wirtschaft und Gesellschaft, éd. Güterson, Winckelmann, 1964, 223ff, 368ff.
  • 11 ↑ Birnbaum, P., les Sommes de l'État, Seuil, Paris, 1977.
  • 12 ↑ Bourdieu, P., la Distinction, Minuit, Paris, 1979.

→ communisme




lutte des classes


Expression empruntée par Marx aux économistes du xviiie s. et aux historiens français du xixe s.

Politique

Tentative des classes dominées pour s'assujettir la société.

Ce sont les rapports sociaux de production, c'est-à-dire un facteur objectif, qui distinguent les différentes classes. Subjectivement, les classes dominées luttent contre les classes dominantes et, lorsque les forces productives rentrent en contradiction avec les rapports de production (l'union des travailleurs est de plus en plus large, du fait que leurs compétences particulières sont dépréciées par la machinerie), s'engage le processus révolutionnaire : « [...] il suffit de cette prise de contact pour centraliser les nombreuses luttes locales, partout de même caractère, en une lutte nationale, pour en faire une lutte de classes »(1).

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Marx, K., et Engels, P., Manifeste du parti communiste, Éditions sociales, Paris, 1986, p. 68.

La notion de lutte des classes est une notion composite, qui présente plusieurs dimensions. En effet, on peut affirmer que toute l'histoire de la philosophie politique est marquée par l'effort pour caractériser les différents groupes qui structurent la société et pour définir leurs rapports. On peut trouver, en particulier, une première analyse avant la lettre des luttes sociales et politiques chez Machiavel. Au xviiie s., des théoriciens politiques comme Sieyès ou Babeuf précisent une telle analyse. Parallèlement, dans son Tableau économique (1758), Quesnay distingue des classes, et non plus des états ou des ordres, en définissant leur rôle propre au sein de la production.

Cette distinction se trouve reprise par l'économie politique anglaise, Smith et Ricardo notamment, qui définissent les trois grandes classes modernes (salariés, capitalistes, propriétaires fonciers) à partir de leurs types de revenus (salaires, profits et rentes foncières). Il s'agit de définir les intérêts propres à chaque groupe, mais surtout les conditions d'un équilibre social réalisant l'intérêt général, par-delà une opposition de surface.

Mais on rencontre l'idée d'un affrontement essentiel entre groupes sociaux chez les historiens français du xixe s. dont certains sont aussi des responsables politiques de premier plan : A. Thierry, Fr. Guizot, A. Thiers. M. Foucault a montré qu'ils héritent de l'analyse des théoriciens de la noblesse du xviie s., réactivant le thème de la guerre des peuples et des races au sein de l'analyse moderne de la lutte des classes.

Dans la littérature sociale et politique française, certains analystes, comme Le Play et Chevalier, justifient le rapport de force existant et théorisent la peur d'une classe ouvrière organisée et revendicative, alors que les théoriciens socialistes dénoncent, à l'inverse, la domination et l'exploitation de la classe ouvrière par la bourgeoisie. Ces derniers appellent à mener jusqu'à son terme cette lutte de classes imposée par ceux qui détiennent la puissance politique, économique et sociale.

Marx, bon connaisseur de ces analyses, mais aussi héritier direct de l'analyse hégélienne de la société civile comme lieu d'affrontement des intérêts privés, reprend d'abord la notion de classe, puis donne un rôle central à l'idée d'une lutte de classes comme moteur du devenir historique et débouchant sur la victoire du prolétariat et sur l'instauration d'un nouveau mode de production, le communisme. Les classes ne se distinguent pas par un type de revenu, pas plus que par des formes juridiques de propriété, mais par des rapports de production, rapports caractérisés par la domination et par l'exploitation de ceux qui ne disposent que de leur force de travail. En ce sens, la définition de chaque classe inclut son rapport aux autres et enveloppe un certain état des luttes de classes.

Si, dans les modes de production antérieurs au capitalisme, ces rapports de domination sont manifestes, dans le capitalisme la forme du contrat tend à en masquer la nature. C'est pourquoi la lutte des classes est alors définie de manière originale, comme un rapport de force incluant la conscience de chacun de ses protagonistes. Se voulant descriptive, la notion marxienne présente une nette dimension prescriptive et militante, puisque la connaissance du rapport de force contribue à le modifier. Marx est partagé entre la thèse d'une nécessité historique, la victoire du prolétariat et la disparition concomitante des classes, d'un côté, et, de l'autre côté, l'affirmation du primat de l'action sociale et politique, seule capable de décider du terme de l'affrontement. Part subjective du devenir historique moderne, la lutte de classe est, en même temps, le nom du rapport social objectif, historiquement déterminé, qui en conditionne la possibilité.

La notion de lutte de classes a subi un discrédit encore plus fort que celle de classe. La thèse marxienne d'une polarisation croissante des conflits sociaux a été clairement démentie. Mais la question reste de savoir si on assiste à une réelle homogénéisation sociale, qui donne enfin son contenu à l'idée d'harmonie et d'intérêt collectif, ou bien si l'effacement relatif des lignes d'affrontement, détruisant l'idée d'un but à atteindre qui soit une autre organisation sociale et politique, n'est pas la source première de cette désaffection.

Isabelle Garo

Notes bibliographiques

  • Chevalier, L., Classes laborieuses et classes dangereuses, Livre de poche, Paris, 1982.
  • Foucault, M., Il faut défendre la société, Gallimard-Seuil, Paris, 1997.
  • Marx, K., et Engels, P., Le Manifeste du parti communiste, Flammarion, Paris, 1998.
  • Smith, A., La richesse des nations, Flammarion, Paris, 1991.

→ classe, classes (lutte des), communisme