apparition

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


En allemand Ercheinung, de erscheinen, composé de scheinen, « luire, éclairer, briller », et du préfixe er-, qui signifie l'amorce, le début d'une action.


Kant en fait un usage technique dans le cadre de sa théorie de la connaissance ; le terme apparaît aussi chez Lambert ; Hegel le mobilise dans la Phénoménologie de l'esprit et dans l'Esthétique ; enfin, la notion devient centrale chez Husserl et Heidegger.

Esthétique, Ontologie, Phénoménologie, Philosophie Cognitive

Synonyme de phénomène, aussi bien chez les philosophes allemands du siècle dernier qu'en phénoménologie au xxe s. Le terme désigne l'ancrage de la connaissance et de la vérité dans la sensibilité, qu'il s'agisse de la connaissance de la réalité objective par un sujet ou de l'accès à la vérité de l'être. Mais la question est de savoir jusqu'où le sujet peut connaître un objet ou parvenir à la vérité en prenant appui sur la seule apparition de la chose dans l'espace et le temps, ce qui pose le problème des limites de la sensibilité.

Avant Kant, chez Lambert(1) par exemple, « apparition » est entendu en un sens avant tout physiologique ou, du moins, empirique : c'est le donné sensible naturel. Elle se confond dès lors avec l'apparence (Schein), soit dans son aspect trompeur et illusoire, soit dans sa qualité neutre de réalité sensorielle.

Le criticisme kantien

Avec Kant(2), l'apparition acquiert un rôle central dans la connaissance d'un objet par le sujet. Distinguée de l'apparence sensible empirique qui ressortit au chaos des sensations, l'apparition, comme donné effectif, reçoit sa forme de l'intuition a priori qu'a le sujet de l'espace et du temps, et se distingue de l'objet en soi. À ce titre, la sensibilité est informée par l'intuition, ce qui fait de l'apparition le mode de connaissance privilégié de la réalité spatio-temporelle. La sensibilité joue ainsi un rôle essentiel dans la théorie de la connaissance, aux côtés de l'entendement (concepts) et de l'imagination (schèmes).

Mais, en conférant ce rôle à l'apparition, Kant pose la question de ses limites : tout en étant détenteur des concepts a priori de l'entendement, je ne peux connaître que ce qui apparaît dans l'expérience spatio-temporelle ; ce qui n'apparaît pas, je ne peux que le penser, en faire l'objet d'une appréciation morale. La connaissance objective se voit ainsi délimitée et souchée sur une expérience possible.

Idéalisme spéculatif

Hegel(3) confère à l'apparition une teneur réelle de vérité en la présentant comme un moment effectif de l'essence : l'apparition, en tant qu'apparition, est ce qu'il y a de plus réel. Que ce soit dans le cadre du chemin que parcourt la conscience se faisant à mesure esprit dans la Phénoménologie, ou bien à propos de l'art dans l'Esthétique, l'apparition, cette immédiateté du sensible, est le support comme le moteur de la découverte de soi-même en tant qu'esprit ou de l'entente de l'art comme création. Quoique l'apparition soit dépassée dans le concept ou transcendée dans l'œuvre d'art et ainsi rejetée dans l'inessentiel, elle y reste contenue à titre d'impulsion nécessaire de la dynamique dialectique.

Phénoménologie

En phénoménologie, l'apparition devient la mesure même de la vérité, qu'il s'agisse de l'objet ou et de l'être. Aussi ne délimite-t-elle plus à partir d'elle le champ de la connaissance possible, puisque, d'une part, connaître, c'est apparaître, et que, d'autre part, apparaître, c'est être. La première équivalence sera développée par Husserl, la seconde mise en évidence par Heidegger.

Chez Husserl(4), l'apparition désigne le mode de connaissance de l'objet par le sujet : elle est tout à la fois l'objet qui apparaît, ce qui apparaît (le quid), et la manière dont la chose apparaît, le mode d'apparaître (le quomodo) : apparition contient tout autant l'idée du résultat d'un processus que celle de sa dynamique. Apparaître est ainsi un synonyme de l'intentionalité (du côté du sujet) et de la donation (du côté de l'objet).

Pour Heidegger(5), l'apparaître est la mesure de l'être et, partant, de la vérité. Se ressourçant à la conception grecque du phainomenon, il prétend débarrasser l'apparition de toute subjectivité (et, aussi, du rapport à l'objet), pour l'envisager exclusivement dans sa teneur ontologique.

Natalie Depraz

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Lambert, J.H., Neues Organon oder Gedanken über die Erforschung und Bezeichnung des Wahren und dessen Unterscheidung vom Irrtum und Schein, Akademie-Verlag, Berlin, 1990.
  • 2 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, Gallimard, Paris, 1980.
  • 3 ↑ Hegel, F., Phénoménologie de l'esprit, Aubier, Paris, 1941.
  • 4 ↑ Husserl, E., Idées directrices...I, Gallimard, Paris, 1950.
  • 5 ↑ Heidegger, M., Être et temps, Authentika, Paris, 1985.

→ être, connaissance, phénomène, sensibilité, vérité