animal

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin animal, « être animé », « animal ».

Philosophie Générale

Être vivant singulier, sujet de ses sensations et de ses actes. Il est saisi dans sa proximité à l'homme en tant qu'il est capable de mettre en œuvre spontanément ses facultés sensitives et motrices, et dans sa distance à l'homme en tant qu'il ne dispose ni de raison, ni de parole, ni d'histoire.

L'animal se présente comme un problème pour la philosophie en tant qu'il engage la question du rapport que nous entretenons avec lui. La forme primitive de ce rapport est la prédation, qui conçoit l'animal selon ses usages possibles et sa résistance propre. Cette prédation primitive fournit deux modèles de l'animal : celui de la science (la dialectique elle-même est d'ailleurs définie comme une « chasse logique » dans le Sophiste(1)) et celui de la norme (chasser l'animal, c'est partager un monde avec lui, c'est donc inaugurer la possibilité d'un rapport pratique à l'animal).

1) La « chasse logique » de l'animal est d'abord un art des coupures. C'est en effet par des découpages successifs qu'Aristote ordonne la connaissance des animaux, saisis sur le fond de la puissance naturelle de croître qu'est la phusis : les animaux sont classés par un système d'analogies descriptives(2), puis analysés selon la finalité naturelle qui organise leurs parties(3). C'est encore une coupure qui permet dans le traité De l'âme de distinguer des degrés dans le vivant défini comme « animé » (empsuchôn), en attribuant à l'animal les facultés nutritive et sensitive, mais pas la faculté dianoétique(4) (ce qui permet en retour de définir l'homme, sur le fond du genre animal, comme « animal politique » ou « animal doué du logos »(5)). Il y a là une double coupure : la distinction radicale de l'homme et de l'animal, articulée à une décomposition de l'animal saisi dans le fonctionnement de ses organes. On retrouve cette articulation chez Descartes, qui affirme « que les bêtes n'ont pas d'“esprit” (mens), et que par là le nom d'“âme” (anima) est équivoque selon l'homme et selon les bêtes »(6), pour pouvoir après analyser la « machine naturelle » de l'animal(7) : il s'agit de poser une communauté de genre à partir de laquelle on affirme une différence spécifique. C'est même précisément parce que l'homme se définit sur le fond du genre animal, et qu'il entretien ainsi avec lui une parenté ou une proximité originelles, que le processus de connaissance de l'animal se présente avant tout comme la pratique d'une coupure franche entre l'homme et l'animal. On distingue alors les « animaux » (animales) des « bêtes » (brutes) comme Aristote distinguait les zôa des thèria : l'animal est le genre que nous partageons avec les bêtes, et ce genre n'est rien d'autre qu'une mécanique. La chasse logique est finie, l'animal est en pièces – mais des bêtes elles-mêmes, qui subsistent dans le monde naturel, et qui ne sont mécanisées que pour et par le processus qui les connaît comme animales, nous ne savons toujours rien.

2) Il faut alors revenir sur la possibilité d'un rapport pratique à l'animal, qui ne se réduirait pas à son démembrement logique en classes ou en fonctions, mais qui déterminerait un certain usage de l'animal. Le premier de ces usages est donné dans la prédation : l'animal est une proie, ou un prédateur. De ce premier usage, qui rencontre l'animal comme une force en mouvement, opposant une résistance autonome à mes propres projets, se tire un second usage, symbolique, qui investit cette résistance et la retourne en une image. L'animal est alors à la fois utilisé et reconnu comme l'expression de qualités morales humaines. Il ne se contente pas d'en être l'image : il constitue, dans l'usage symbolique, une puissance intérieure de l'humanité. Ainsi Machiavel recommande-t-il au prince, en tant qu'il doit mobiliser toutes les formes de sa puissance, de savoir en temps voulu « user de la bête(8) (usare la bestia) ».

Cet usage symbolique a-t-il cependant des effets sur la façon pratique dont nous rencontrons l'animal ? Pouvons-nous entrer en société avec lui ? L'article 528 du Code Pénal n'envisage un tel rapport qu'en définissant l'animal comme un « bien meuble ». Il serait erroné de croire que l'on trouve ici l'ultime effet, dans le droit, du mécanisme « cartésien » : au contraire, le législateur ne veut rien savoir des classes et des organes, il instaure un rapport à la généralité de l'animal. Or ce rapport ne peut être participatif, autre façon de dire que l'animal n'est poussé à ce rapport par aucun mouvement intérieur ; mieux, il l'ignore. C'est parce que nous faisons rentrer l'animal dans notre propre forme juridique à son insu que nous sommes contraints de l'y faire rentrer comme chose. Or il ne s'agit pas seulement ici d'une appréhension juridique de l'animal : l'impossibilité pour l'animal de se rapporter comme sujet à un monde de normes repose sur l'équivocité de l'être-au-monde animal et de l'être-au-monde humain (« l'animal est pauvre en monde »(9), selon la définition de Heidegger, qui intègre ainsi à sa réflexion les approches de l'éthologie naissante). C'est ainsi sur une façon différente d'être au monde que se fonde la saisie pratique de l'animal comme naturellement anomal : toute norme pratique à laquelle il est annexé ne peut le saisir, comme la science, que de l'extérieur.

Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Sophiste, 221e-226a, tr. A. Diès (1925), Les Belles Lettres, Paris, 1994.
  • 2 ↑ Aristote, Histoire des animaux, tr. P. Louis, Les Belles Lettres, Paris, 3 vol., 1964-1969.
  • 3 ↑ Aristote, Parties des animaux, tr. P. Louis (1957), Les Belles Lettres, Paris, 1993 (voir aussi Parties des animaux, livre I, tr. J.-M. Le Blond (1945), intr. P. Pellegrin, GF, Paris, 1995).
  • 4 ↑ Aristote, De l'âme, II, 2-3, tr. R. Bodéüs, GF, Paris, 1993.
  • 5 ↑ Aristote, Politiques, I, 2, 1253a2-10, tr. P. Pellegrin, GF, Paris, 1990.
  • 6 ↑ Descartes, R., Lettre à Regius, mai 1641, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, 1996, vol. III, p. 370.
  • 7 ↑ Descartes, R., Discours de la méthode, Ve partie, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, vol. VI, 1996, pp. 43-44.
  • 8 ↑ Machiavel, N., Le Prince, ch. XVIII, tr. J.-L. Fournel & J.-Cl. Zancarini, PUF, Paris, 2000, pp. 150-151.
  • 9 ↑ Heidegger, M., Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde-finitude-solitude, II, ch. III-V (§§ 45-63), tr. D. Panis, Gallimard, Paris, 1992.
  • Voir aussi : Frère, J., Le bestiaire de Platon, Kimé, Paris, 1998.
  • Gontier, Th., L'âme des bêtes chez Montaigne et Descartes, Vrin, Paris, 1997.
  • Montaigne, M. de, Essais, II, 12, édition P. Villey, PUF, Paris, « Quadrige », vol. II, pp. 452-485.
  • Pellegrin, P., La Classification des animaux chez Aristote, Les Belles Lettres, Paris, 1982.
  • Romeyer-Dherbey, G. (dir.), L'animal dans l'Antiquité, Vrin, Paris, 1997.
  • Aquin, Th. (d'), Somme Théologique, Ia pars, quaestio 96, art. 1 et 2.

→ âme, biologie, corps, vie

→  « La nature a-t-elle des droits ? »