2. masse

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin massa, « pâte épaisse », « agrégat matériel » (probablement du grec maya, « gâteau d'avoine »).


La multiplicité (non exhaustive) des définitions de la masse témoigne de la plurivocité de son concept, et de sa dépendance à l'égard de cadres théoriques successifs. L'évolution historique du concept de masse manifeste cependant une tendance générale à la perte des contenus substantiels au profit de contenus fonctionnels (selon E. Cassirer).

Physique

Quantité de matière, mesure de l'inertie, charge gravitationnelle, forme d'énergie.

La notion de quantitas materiae est d'origine médiévale : elle exprime la croyance en une substance inchangée dans les diverses altérations qu'elle peut subir. Dans les Premiers Principes métaphysiques de la science de la nature, Kant confère à l'énoncé de conservation de la quantité de matière un statut transcendantal, en tant qu'application empirique du principe constitutif de permanence. Un élément de signification opératoire lui a d'autre part été donné par Lavoisier, à travers son affirmation de la conservation de la masse dans les transformations chimiques.

Le concept moderne de masse est né de réflexions sur l'inertie : « un pouvoir de résister, écrit Newton, par lequel chaque corps [...] continue dans son état présent ». Dans les traités de physique de la fin du xixe s., il devient alors courant de définir la masse comme le rapport de la force appliquée à un corps, et de l'accélération que lui impose cette force. Il est même possible de se servir des lois du choc pour éliminer toute référence au concept de force : le rapport des masses de deux corps est l'inverse du rapport des variations de vitesse à la suite de leur impact.

Parallèlement à la définition inertielle, une définition gravitationnelle de la masse était développée. La force d'attraction gravitationnelle qu'exercent les corps les uns sur les autres, indiquait Newton, est proportionnelle aux « quantités de matière qu'ils contiennent ». La masse devenait ainsi à la fois la charge gravitationnelle active (celle qui engendre l'attraction) et la charge gravitationnelle passive (celle qui subit l'attraction). L'expression commune quantité de matière, utilisée aussi bien lorsqu'il est fait allusion à des effets inertiels que lorsqu'il est fait allusion à des effets gravitationnels, implique que l'on admette l'équivalence entre masse inerte et masse pesante. Ce présupposé, devenu au xixe s. l'objet de tests empiriques, et d'une réflexion approfondie due à E. Mach, a été élevé par Einstein au rang de principe constitutif dans la théorie de la relativité générale.

Une critique du concept substantialiste de corps matériel au profit du concept relationnel de champ a été développée à partir du milieu du xixe s. Elle a eu pour conséquence des tentatives de réduire la masse inerte des électrons à un sous-produit de l'auto-induction électromagnétique. D'autres spéculations tendaient à faire de la matière, et de sa masse, un effet de courbure de l'espace.

Ces propositions « dématérialisantes » n'ont pas abouti, mais elles ont été relayées par les théories physiques du xxe s. Ainsi la théorie de la relativité restreinte, qui repose sur un postulat de covariance des lois de la mécanique et de l'électromagnétisme, implique l'interconvertibilité de la masse et de l'énergie selon l'expression E = mc2. En mécanique quantique, la perte d'individualité des particules élémentaires a conduit E. Schrödinger à proposer que leur masse soit considérée comme une constante universelle plutôt que comme une détermination appartenant en propre à chacune d'elles.

Une nouvelle tentative de réduction de la matière (et de la masse associée) à des altérations géométriques du continuum spatio-temporel a été conduite par Einstein durant les années 1930 et 1940. Ce dernier essai a été infructueux, mais il a inspiré les développements récents de la théorie des supercordes, et de la « M-theory », qui assimilent la masse des particules à un mode de vibration quantifié d'un secteur d'espace bi- (ou pluri)-dimensionnel plongé dans un espace à 11 dimensions.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Jammer, M., Concepts of Mass in Classical and Modern Physics, Dover Books, 1997.
  • Jammer, M., Concepts of Mass in Contemporary Physics and Philosophy, Princeton University Press, New Jersey, 1999.

→ antimatière, particule