Jerry Lee Lewis

Chanteur et pianiste de rock américain (Ferriday, Louisiane, 1935).

Lorsque les parents de Jerry Lee Lewis découvrent les talents musicaux évidents de leur fils, ils n'hésitent pas à hypothéquer leur modeste ferme de Louisiane pour lui offrir un piano à 900 dollars. Le prodige apprend à jouer en quinze jours. Armé seulement de sa voix et de son piano, il sillonne les petites routes de la région avec son père, Elmo Lewis, qui fait les marchés. Ses premières influences musicales sont religieuses (son cousin Jimmy Lee Swaggart deviendra plus tard un célèbre télévangéliste, dont la carrière sera interrompue après qu'on l'eut surpris dans un motel avec une dame de petite vertu), mais il se met bientôt à écouter du blues, du boogie-woogie, Fats Domino et Moon Mullican. Au début de son adolescence, il étudie au Texas pour devenir pasteur pentecôtiste, et passe même quelque temps au séminaire, dont il se fait promptement renvoyer. Doué pour la batterie comme pour le piano, il devient vite un pilier de nombreux clubs installés le long du Mississippi. En 1956, Jerry Lee va auditionner à Memphis dans les fameux studios Sun. Jack Clement, le bras droit de Sam Phillips, apprécie ce petit nouveau, mais lui conseille simplement de s'orienter vers des sons plus country. Le garçon rentre chez lui et compose le superbe End Of The Road, avec lequel il retourne à Memphis tenter sa chance. Une nouvelle rencontre avec les gens de Sun est organisée.

Crazy Jerry Lee. Ainsi naît le premier single de Lewis, Crazy Arms, une version musclée du succès de Ray Price, qui entre en très bonne place au hit-parade country. C'est le 4 décembre 1956 qu'a lieu l'une des rares réunions des quatre têtes d'affiche du label de Sam Phillips dans le petit studio de Memphis. Carl Perkins est en train d'enregistrer avec son orchestre. Jerry Lee est au piano ; Johnny Cash est venu voir comment se déroulait la séance. C'est alors qu'Elvis Presley fait son apparition. Phillips, sentant la bonne aubaine, laisse tourner les magnétophones. Pendant plusieurs heures, ils interprètent une vingtaine de chansons. Les fameuses bandes du Million Dollar Quartet restent vingt-cinq ans dans les placards avant d'être rendues publiques. Les vrais débuts de Jerry Lee commencent après cette session légendaire : il assure la première partie de ses illustres aînés Carl Perkins et Johnny Cash. À cette époque, ses proches l'encouragent à se laisser aller davantage sur scène. Désormais, il se fait un plaisir d'agresser son piano, de massacrer les touches, martelant les notes du pied et du coude, et de se rouler dessus en hurlant. Véritable bête de scène, il devient la coqueluche des télévisions et des radios américaines. C'est le second 45 tours, Whole Lotta Shakin'Goin'On, un boogie frénétique, qui fait connaître ce jeune agité dans le monde entier. Il est classé № 3 aux États-Unis et № 8 en Grande-Bretagne. Great Balls Of Fire, le quatrième single de Lewis, culmine au sommet des hit-parades américains et anglais. Tout comme sa reprise de Breathless d'Otis Blackwell. Durant l'été 1958, il tourne aux États-Unis à guichets fermés. Son physique de jeune premier, ses cheveux blonds ondulés et sa mèche folle font fureur, tandis qu'il subjugue ses fans avec sa voix sauvage et ses notes martelées.

Le tueur à la mèche folle. Alors qu'il se prépare à affronter l'Europe, une interdiction de tournée le frappe. Le monde vient de découvrir qu'il est marié à sa cousine Myra Brown, âgée de treize ans. C'est une pratique courante dans le Sud, mais l'Angleterre est choquée. De plus, il s'agit de sa troisième femme, et les deux mariages précédents étaient bigamiques. Les concerts sont annulés, les disquaires refusent de le vendre, et la presse le harcèle. Sa carrière fulgurante s'interrompt durant trois ans. En 1961, il enregistre What'd I Say, de Ray Charles, et obtient enfin l'autorisation de jouer en Europe. Le public semble avoir oublié ses incartades. À la fin d'un show (en première partie de Chuck Berry), il met le feu à son piano, comme pour défier le monde entier. L'effet est désastreux. Si les fans sont toujours présents, ses disques se vendent de moins en moins bien. En 1968, toutefois, une série de tubes country le remettent en selle. C'est l'époque de What's Made Milwaukee Famous, Another Time, Another Place, She Even Woke Me Up To Say Goodbye. Il fait un retour triomphal et donne un concert superbe à Toronto devant une salle comble. Pendant les années 1970, on entend moins parler de lui, bien qu'il se produise environ 200 soirs par an. Il enregistre en 1977 l'autobiographique Middle-Age Crazy. En 1981, il est hospitalisé d'urgence et frôle la mort. Ce qui ne l'empêche pas dès sa sortie de recommencer à abuser des cigares et du whisky. Au milieu des années 1980, il enregistre encore des singles avec Johnny Cash, Roy Orbison et Carl Perkins. Ruiné, il accepte de superviser un long métrage sur sa vie, Great Balls Of Fire, (1989). En 1995, le vieux démon sort Young Blood. La voix a vieilli, mais le toucher de piano reste époustouflant.

Surnommé « The Killer », sans doute parce qu'il est le plus sauvage de tous les artistes blancs (mais aussi parce qu'on l'a soupçonné d'avoir supprimé certaines de ses nombreuses épouses), Jerry Lee Lewis reste comme le premier grand artiste du rockabilly, remarquable par son jeu de piano et son débit saccadé. Sa main droite martèle le clavier qu'il parcourt d'une seule traite dans la grande tradition boogie, tandis qu'il fait ce qu'il veut de sa voix, passant du grave à l'aigu, grognant, feulant, roulant les « r », et claquant sa langue comme personne. Les albums de Jerry Lee Lewis n'étant enregistrés qu'après de très courtes répétitions, ils conservent une grande spontanéité, proche de l'improvisation.