Plus de la moitié des 473 œuvres présentées sur les cimaises du Grand Palais sont ainsi de minuscules épreuves de 8 cm sur 5 à partir desquelles Man Ray effectuait le choix de ses cadrages. Ces épreuves, souvent occultées par l'artiste, révèlent comment il retravaillait ses clichés. Man Ray découpait le négatif, puis traçait son cadrage au crayon sur la planche-contact. Il lui arrivait aussi de plier le négatif pour obtenir le cadrage. Il inversait parfois le négatif, multipliait les surimpressions. Il accusait les contours au moyen de la solarisation, gommait certaines imperfections plastiques de ses modèles, masquait des parties ingrates ou des traits inexpressifs. En un mot, il trafiquait abondamment l'image. Pour d'autres travaux, il se contentait de plans spectaculaires, d'éclairages contrastés. C'est là qu'intervient souvent la frontière, peu étanche, séparant ses recherches surréalistes de ses travaux plus « commerciaux ». Les commissaires ont cherché à orchestrer ce chant à plusieurs voix au moyen d'une partition en trois temps : « dupliquer », « démarquer » et « dénaturer » le réel. La distinction, parfois trop arbitraire, aurait mérité des perméabilités plus subtiles. Tout portrait est une « démarque » du réel. Elle réservait cependant de belles surprises dans le parcours au cœur de la fabrication de l'image. L'exposition démontait un mécanisme que le spectateur avait le loisir de reconstituer, comme un nouveau démiurge.

Pascal Rousseau