Chez le mouton, la vache ou le porc, comme chez les animaux sauvages, l'olfaction joue un rôle essentiel au moment de la reproduction. Influer sur l'action des phéromones peut donc avoir des résultats concrets sur les techniques d'élevage. Ainsi que l'ont montré des chercheurs de l'Institut national pour la recherche agronomique (INRA), l'introduction d'un mâle dans un groupe de brebis isolées et non réceptives provoque l'œstrus dans un délai de trois semaines. Un tel « effet mâle » existe également chez les bovins, et serait déclenché par l'urine de taureau. Chez les truies élevées en bandes, la synchronisation des cycles de reproduction se fait spontanément, mais quelques verrats sont en général « mis en réserve » pour accélérer l'œstrus chez les femelles échappant à la synchronisation.

Et dans notre propre espèce ? « L'anatomie et la physiologie ont montré que, mis à part l'extraordinaire développement de son cortex cérébral, l'homme est un mammifère somme toute assez ordinaire, mais qui répugne à se considérer comme tel dès qu'il s'agit de son comportement », rappelle Rémy Brossut. De fait, les phéromones humaines existent. Plusieurs études récentes ont même montré qu'elles participaient sans doute activement à notre vie sexuelle. Et qu'elles pouvaient notamment induire, chez la femme, la synchronisation des cycles menstruels. Longtemps, les anatomistes déclarèrent la chose impossible. À l'appui de leur conviction : l'espèce humaine serait dépourvue d'« organe voméronasal » (OVN), sorte de nez invisible dont se servent les mammifères pour capter ces odeurs si particulières. Tapi dans une cavité située en avant de la muqueuse olfactive, ce petit organe détecte des parfums que le « nez pensant » ne soupçonne pas, parmi lesquels les phéromones. Là se situait, disait-on, la limite olfactive de notre espèce : certes, l'embryon humain possédait un semblant d'OVN, mais celui-ci disparaissait bien avant la naissance. Après quoi il ne restait rien, ni à l'homme ni à la femme, pour capter subrepticement les effluves d'autrui. Tout change il y a une dizaine d'années, lorsque David Berliner, anatomiste américain convaincu de l'existence des phéromones humaines, persuade une poignée de collègues de repartir sur la piste de l'OVN. Et ils le trouvent ! Niché sous l'arête du nez, le minuscule organe possède des cellules olfactives semblables à celles qui détectent les phéromones chez les rongeurs. Mieux encore : confrontées à de la sueur humaine, ces cellules réagissent et émettent des signaux électriques. La découverte est suffisamment probante pour relancer l'intérêt pour les phéromones sexuelles humaines. Et pour que soit étudiée de plus près la synchronisation des cycles menstruels chez la femme, phénomène connu de longue date mais inexpliqué jusqu'alors. Qu'elles proviennent des pensionnats de jeunes filles, de casernes ou des campus américains, toutes les données, en effet, convergent pour montrer une tendance à la synchronisation des cycles dans les groupes de femmes vivant ou travaillant ensemble. Le phénomène est d'autant plus net que le temps passé en commun est long, alors que les liens affectifs (mère-fille, couples d'homosexuelles) ont en revanche peu d'incidence. Autant d'éléments qui militent en faveur d'une influence chimique, inconsciemment perçue par ce « nez sexuel » qu'est l'OVN.

Une étrange expérience

Dans ce domaine, une étude particulièrement convaincante a été récemment effectuée, à l'université de Chicago, par une équipe de psychologues. Publiée dans la revue scientifique Nature, leur expérience n'a, à vue de nez, rien de très exaltant. Tous les jours, quatre mois durant, des carrés de coton, imprégnés de la transpiration prélevée sous l'aisselle de neuf femmes, ont été frottés au-dessus de la lèvre supérieure de vingt autres femmes, réparties en deux groupes distincts. Le premier groupe respirait la sueur de femmes alors dans la première phase de leur cycle menstruel (folliculaire), le second groupe celle de femmes étant dans la seconde phase (ovulatoire). Toutes ces « renifleuses », il est important de le préciser, ayant la sensation de n'humer qu'une seule odeur : celle de l'alcool dans lequel les concentrés de sueur étaient dissous. Résultat : les femmes appartenant au premier groupe ont présenté une accélération de leur production d'hormone lutéinisante (LH), et ont donc vu leur cycle menstruel raccourcir. Les femmes du second groupe, au contraire, ont produit cette hormone avec retard et présenté un cycle plus long. Pour la première fois, une étude scientifique montre ainsi que la période de l'ovulation peut être manipulée, de façon reproductible, par la détection de sécrétions humaines dont le nez n'a pas conscience – autrement dit par des phéromones. Rien n'interdit dès lors de penser que ces substances, une fois identifiées avec précision, pourront être employées pour lutter contre certains cas de stérilité, ou, au contraire, à des fins contraceptives. Et, pourquoi pas, pour inventer une nouvelle chimie de l'amour.

Catherine Vincent, journaliste au Monde

Bibliographie
Rémy Brossut, Phéromones, la communication chimique chez les animaux, collection « Croisée des sciences », Belin/CNRS.1996.