Comme par le passé, le mouton et l'agneau inspirent les plats de viande les plus appréciés. La selle d'agneau de Sisteron rôtie est accompagnée d'un ragoût d'artichauts violets au Chantecler de Nice, d'une purée de pois chiches au cumin à La Mirande d'Avignon. Le gigot est traité à l'ail en casserole, en croûte, aux Baux, à l'Oustaù de Baumanière, et même en daube. L'art de la table, soigneusement préservé, fait l'objet d'investigations attentives, amorcées par Morard et par Reboul à la fin du siècle dernier. Guy Gedda, patron du Jardin des Perlefleurs, à Bormes-les-Mimosas – qui vient de fermer – est, à notre époque, l'exemple même de ces chefs curieux, qui ont rassemblé les éléments d'un véritable corpus gastronomique.

L'innovation constitue la troisième force de la cuisine méditerranéenne.

L'innovation

La richesse de son patrimoine, patiemment accumulé, est telle qu'elle aspire les chefs étoiles attirés par la Côte d'Azur et les contraint à renouveler sans trahir. Aussi, nul ne s'étonne que Maximin, maintenant installé à Vence, vienne du Nord, que Chibois soit Limousin, Tarridec, un Breton ancré à Saint-Tropez, et Ducasse, d'origine landaise. Dans une ambiance qui pousse au perfectionnisme, le talent créateur de jeunes chefs d'origine locale est stimulé, si bien que Ducasse, prenant la succession de Robuchon, à Paris, n'hésite pas à confier le Louis XV de Monte-Carlo au Niçois Franck Cerutti. L'émulation née de ces contacts suscite le renouvellement. Inspiré par les pieds et parquets, René Alloin, à Marseille, propose un feuilleté de pieds de mouton au basilic et aux anchois. Au Clos de la Violette, à Aix, Banzo traite le chapon (la rascasse de fond) sous la forme d'une saucisse de ménage, avec pommes boulangère, tomates et rouille. Les frères Pourcel, au Jardin des Sens, à Montpellier, affinent les encornets farcis avec une fine ratatouille aux langoustines et leur jus en vinaigrette de soja. Épris de simplicité, Ducasse réunit des légumes de l'été, fenouil, oignons, courgettes, tomates, artichauts violets et des champignons, les traite à l'huile d'olive, à l'ail, au vin blanc, au jus de citron et au vinaigre de Xérès et compose une grecque présentée glacée. Au Louis XV, il prépare le loup en pavés croustillants, dispose des panisses chaudes sur le poisson, qu'il parsème de basilic frit, et assortit le tout avec des tomates confites aux olives. Ainsi, des chefs inventifs, suscitant l'intérêt des meilleurs fournisseurs, prospectant une aire d'influence étendue, réussissent à exalter des produits qui figurent depuis toujours dans les compositions culinaires et à combler de plaisir les exigeants pèlerins de la gastronomie.

Georges Grelou

Jacques Chibois

Cuisinier de l'année pour Gault-Millau, élu par ses pairs chef de l'année 1997, couronné de trois toques et de deux étoiles, Jacques Chibois dispose désormais du cadre qu'il désirait pour mettre en valeur l'épanouissement de son talent : il vient de s'installer à Grasse, parmi les oliviers, dans une belle demeure du xviiie siècle, la Bastide Saint-Antoine. Limousin d'origine, Chibois s'est aisément adapté à la cuisine méridionale, comme en témoignent ses grosses crevettes en chiffonnade de mesclun ou son pageot à l'huile d'olive, jus de fenouil à l'oignon nouveau. Mais son intervention enrichit ou épure.