Clinton II

Comme Richard Nixon, Bill Clinton est un président mal aimé et peu respecté, tout en étant finalement assez populaire pour avoir été élu à un second mandat. Bien qu'il soit la cible d'enquêtes judiciaires et parlementaires dont l'issue reste incertaine, le président des États-Unis affiche un moral d'acier, trempé dans les indéniables performances de l'économie nationale. L'Amérique va bien, l'Amérique est un modèle pour le reste du monde, Clinton le triomphateur ne cesse de le clamer.

Confortablement réélu en novembre 1996 pour un second – et dernier – mandat, Bill Clinton dispose d'un horizon dégagé qu'aucun nuage ne semble susceptible d'obscurcir. C'est du moins le sentiment du président. S'il est vrai que le locataire de la Maison-Blanche doit composer avec un Congrès dominé par les conservateurs, la situation n'a pas que des inconvénients. D'abord parce que le cas de figure n'est pas nouveau – les élections de novembre 1994 s'étaient soldées par une véritable débâcle pour les démocrates –, ensuite parce que le président aura toujours quelque intérêt à prêter à l'opposition conservatrice la responsabilité de certains de ses propres échecs. À la longue litanie des affaires qui le handicapent et qui empruntent leur suffixe au scandale du Watergate – Chinagate, Filegate, Travelgate, Hubbellgate, Jonesgate –, Bill Clinton oppose un bilan économique dont il veut croire qu'il lui vaudra absolution. Celui-ci est indiscutable, celle-là plus problématique.

La pax americana

Le reste du monde peut bien s'offusquer de l'arrogance d'un président qui lui intime de choisir entre le modèle américain et la certitude du déclin, il reste que Clinton a entre les mains tous les atouts – militaires, économiques et politiques – dans un monde qui, vu de Washington, vit sous la pax americana. Agaçants donc, les Américains. Mais ceux qui ergotent sur les chiffres de l'économie se trompent. En effet, depuis que B. Clinton s'est installé dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, les États-Unis ont obtenu des résultats en matière d'emploi, de compétitivité, de croissance propres à faire rêver les dirigeants du monde entier. On peut certes objecter qu'ils en ont payé le prix – restructurations brutales, inégalités de revenus accrues, règne avéré de l'argent –, il n'en demeure pas moins que le chômage a considérablement reculé et les comptes ont opéré un retour spectaculaire à l'équilibre. L'entourage du président se plaît à rappeler que lors du sommet du G7 de Houston en juillet 1990 George Bush était apparu comme le mauvais élève de la classe. L'Europe, après quelques années de croissance, pouvait alors se permettre de lui donner des leçons, d'insister sur les efforts à fournir. Il est vrai qu'à l'époque l'économie américaine était en récession (– 3 % sur un an), tandis que le déficit budgétaire s'emballait (4 % du PIB). L'activité a fini par redémarrer et le mauvais élève tient désormais la baguette du maître. Sur le tableau noir des mérites comparés, les chiffres sont têtus. Depuis janvier 1993, quelque 12 millions d'emplois ont été créés. En 1997, non seulement le déficit budgétaire américain ne représentait plus que 1,1 % du PIB, mais il continuait de se résorber. En 1992, Bill Clinton s'était engagé à créer des millions d'emplois. Au terme de son premier mandat, le président américain pouvait se prévaloir du leadership d'un club très restreint, celui dont les membres ont tenu leurs promesses : le chômage ne touchait plus que 4,8 % de la population active. Sous ce seul aspect, le fossé qui sépare les États-Unis de l'Europe semble insondable. B. Clinton met bien sûr ces résultats au compte de l'esprit d'entreprise et de la faculté d'adaptation du peuple américain aux deux grandes mutations de cette fin de siècle, la mondialisation et la « révolution numérique ».

Triomphalisme clintonien

Sans être fausse, cette explication ne suffit pas à épuiser les causes du rebond spectaculaire réalisé par les États-Unis en l'espace de cinq ans. Ainsi le pilotage macroéconomique a joué un rôle de premier plan dans le redémarrage de l'économie outre-Atlantique. Robert Rubin, le secrétaire d'État au Trésor, s'est attaqué aux déficits publics tandis que Alan Greenspan, président de la banque centrale (la FED), baissait nettement les taux d'intérêt : l'austérité budgétaire s'est trouvée compensée par l'expansionnisme monétaire, ce qui a permis le redémarrage de l'activité dans des conditions saines. L'assurance retrouvée se fait sentir bien au-delà des débats sur les recettes de la croissance. On a pu voir Clinton imposer des sanctions contre Cuba ou l'Iran, présenter un plan de remboursement partiel des dettes américaines à l'ONU, assorti de conditions draconiennes, et lancer son « initiative africaine », qu'il se faisait fort d'approuver lors du sommet de Denver (début juin) ; tout cela sans la moindre consultation, ni même information de ses partenaires.