L'enjeu ? En premier lieu, localiser les gènes impliqués dans les quelque 3 000 maladies héréditaires dont souffre l'espèce humaine. Grâce à ces travaux, le mécanisme moléculaire de près de 500 pathologies a déjà été partiellement élucidé, ouvrant pour certaines la voie au diagnostic prénatal, voire au traitement thérapeutique de maladies graves et jusqu'alors mal comprises : la myopathie de Duchenne, la mucoviscidose ou les affections impliquées dans certains cancers, pour n'en citer que quelques exemples.

Au-delà de ses implications médicales, la génétique moléculaire se révèle un extraordinaire outil de connaissance des espèces vivantes. Le loup rouge, classé « espèce protégée » depuis 1967, vient ainsi d'être trahi par son ADN (acide désoxyribonucléique, porteur de l'information génétique). Deux chercheurs américains ont comparé ses gènes à ceux du coyote et du loup gris. Conclusion : le loup rouge est un hybride de ces deux espèces, et pourrait bien en perdre toute protection.

Plus étonnant encore, les généticiens remontent parfois le fil de notre propre histoire. Plusieurs d'entre eux ne viennent-ils pas de proposer, le plus sérieusement du monde, de décrypter l'ADN... d'Abraham Lincoln ? L'objectif : vérifier à la lumière de la biologie moléculaire, 126 ans après sa mort, si le président des États-Unis était, comme on le suppose, atteint du syndrome héréditaire de Marfan. Tandis que des chercheurs français et italiens, en comparant les gènes des populations actuelles réparties dans nos différentes provinces, retracent les grandes étapes... de l'histoire de la Gaule !

La naissance du cocotier-éprouvette

Outil de connaissance médicale ou fondamentale, le décryptage des gènes de l'espèce humaine représente également, et surtout, un formidable enjeu économique. Car il suffit aujourd'hui, pour produire en quantité industrielle une protéine humaine d'intérêt thérapeutique (hormone de croissance, érythropoïétine, facteurs de coagulation), de « greffer » le gène correspondant dans les chromosomes d'une autre espèce vivante. Par exemple, dans ceux d'une vache, d'une chèvre ou d'une brebis, dont le lait, moyennant d'habiles manipulations génétiques, contiendra en grandes quantités la protéine humaine recherchée.

Science-fiction ? Il y a 20 ans, sans aucun doute. Désormais, la plupart des spécialistes s'accordent à penser que la production de substances pharmaceutiques par de tels animaux « transgéniques » pourrait passer au stade industriel d'ici à quelques années. À preuve : les travaux publiés en septembre par trois sociétés privées dans la très sérieuse revue britannique Biotechnology, qui rapportent la production de protéines humaines, dans le lait de brebis et de chèvre, « à des taux économiquement viables ».

La phase industrielle, certes, est encore loin. Avant l'autorisation de mise sur le marché, les animaux transgéniques devront franchir l'étape, longue et complexe, des essais cliniques. Mais le développement de cette manipulation du vivant, fille des biotechnologies, semble désormais inéluctable. Et les pays industrialisés l'ont bien compris, qui, tous, commencent à donner à la brevetabilité du vivant un cadre légal. Après l'Office américain des brevets, qui, pour la première fois au monde, accordait en 1988 le statut de propriété industrielle à une souris transgénique, l'Office européen des brevets vient à son tour de se rallier à la logique économique. Et la CEE, qui prépare de longue date un projet de directive relatif à la protection juridique des découvertes biotechnologiques, se prononce d'ores et déjà en faveur de la brevetabilité de « toutes les catégories biologiques ».

Autre domaine favorisé par la compétition internationale : l'ingénierie des protéines. À cette recherche multidisciplinaire, qui vise à fabriquer des protéines « sur mesure » d'usage médical ou industriel, les principaux pays industrialisés consacrent désormais de véritables programmes nationaux. Financé à parité par le CNRS et le CEA et prévu pour accueillir 200 chercheurs en 1992, le futur Institut de biologie structurale de Grenoble lui sera entièrement dédié. Et le programme de recherche industriel « Bioavenir », auquel Rhône-Poulenc et le gouvernement consacreront 1,6 milliard de francs dans les cinq ans à venir, sera lui aussi dirigé en priorité sur ces molécules du vivant, dont le marché mondial est évalué à 300 milliards de francs à l'horizon 1995.