Journal de l'année Édition 1991 1991Éd. 1991

Amérique latine : l'espoir ?

Les réformes économiques et financières et l'arrivée au pouvoir d'une autre sorte de dirigeants ouvrent une ère nouvelle pour l'Amérique latine. Les changements s'accélèrent dans la plupart des pays, mais l'embellie durera-t-elle ?

En Amérique latine, faute de grands événements médiatiques et face à la concurrence de l'actualité en provenance du Golfe et des pays de l'Est, les apparences semblent bien privilégier la banalisation. Même s'il est permis de le regretter, on ne saurait reconnaître une empreinte décisive à l'attribution du prix Nobel de littérature au poète mexicain Octavio Paz ou à la signature de l'accord conclu entre l'Argentine et la Grande-Bretagne à propos du conflit des Malouines, dont la page a pu être enfin tournée.

Le modèle brésilien

Pourtant, deux autres faits, à peine mieux connus, ont marqué l'année en dessinant ou en annonçant deux grandes ruptures aux dimensions du continent : au Brésil, la mise en place du plan Collor, et le retrait des sandinistes au Nicaragua...

« Électrochoc, hold-up légal, opération chirurgicale, tremblement de terre... » : l'impact du plan Collor sur l'opinion brésilienne traduit bien la gravité de son enjeu (voir ci-contre). Il illustre de manière emblématique le cheminement de l'économie latino-américaine au sortir d'une « décennie perdue » dont les principales caractéristiques ont été une baisse de 8 % du PIB par habitant, un recul de 17 % des investissements et la croissance du poids de la dette extérieure qui est maintenant de l'ordre de 434 milliards de dollars (G$)...

Partout, l'ennemi se nomme inflation et même, de plus en plus souvent, hyperinflation. Alors que celle-ci a atteint 5 000 % au Brésil pour ces cinq dernières années, les trois chiffres sont venus contaminer les économies du Pérou, de l'Argentine, du Nicaragua...

Accompagnant les dévaluations, la paupérisation du continent s'accélère. Le solde annuel négatif (− 70 G$) est la conséquence du service de la dette, du tarissement des entrées d'argent frais et de la dégradation des termes de l'échange. En dix ans, la consommation par habitant a diminué de 13 %...

Certes, le Chili ne connaît que 20 % d'inflation et le Costa Rica 10 % seulement ; mais ces exceptions ne font que confirmer la règle : une récession générale entraîne l'Amérique latine dans une spirale de crises, de misère, de chômage, de corruption, de criminalité et de guerre sociale. La guérilla et sa répression font ainsi quelque 500 morts par mois au Pérou. Seule l'économie de la drogue semble florissante.

Tous les pays reprennent les méthodes et jusqu'au vocabulaire du plan Collor. Une nouvelle orthodoxie économique néolibérale est en train de s'instaurer. Elle est mise en œuvre par une nouvelle génération de cadres − le président mexicain Salinas de Gortari est diplômé de Harvard − ou imposée par les recommandations pressantes du FMI. L'assèchement de la masse monétaire, point de départ obligatoire de tous les plans, sésame de la désinflation, est considéré comme un préalable absolu. C'est ainsi que le « pacto » mis en place depuis deux ans a permis au Mexique de faire tomber de 200 % à 20 % le rythme annuel de la hausse des prix. Même rupture pour l'Argentine, qui est passée de 300 % à 20 % en utilisant également une recette brésilienne avec le blocage des comptes bancaires supérieurs à 450 dollars.

Le désengagement de l'État : au Mexique, l'échec de l'État-patron est mis en lumière par la dénationalisation des banques moins de dix ans après leur nationalisation et par les ventes des mines de cuivre de Cananea ou de Telefonos de Mexico. Un cheminement analogue est suivi par l'Argentine, qui a cédé le réseau téléphonique Entel et supprimé le monopole pétrolier.

L'appel aux investisseurs extérieurs : partout l'État abolit les réglementations qui ont été trop longtemps dissuasives. Avec un certain résultat : en rythme annuel, la valeur des investissements étrangers au Mexique a été multipliée par quatre depuis 1986.

Le plan Collor

Pour Fernando Collor, qui fait connaître le 16 mars les modalités de son plan, « il n'y a qu'une seule balle dans le barillet pour tuer le tigre de l'inflation ». Il importe donc de ne pas manquer son coup et de frapper vite et fort :
– en dévaluant le cruzeiro de 1 000 % par rapport au novo cruzado ;
– en gelant les prix et les salaires ;
– en réduisant le déficit budgétaire (6,5 % du PNB) ;
– en bloquant les comptes en banque pendant dix-huit mois et en limitant les retraits à 1 250 dollars ;
– en réduisant la masse monétaire de 120 à 25 milliards de dollars ;
– en licenciant 50 000 fonctionnaires immédiatement et 300 000 autres ensuite ;
– en instaurant un impôt sur la fortune et sur les revenus agricoles ;
– en renégociant la dette (« Notre but est de garantir la croissance. Nous verrons seulement après ce qui reste disponible pour payer la dette », F. Collor, novembre 1990).

Enfin, la recherche des moyens de réduire le service de la dette, qui atteint aujourd'hui le tiers de la valeur des exportations de cette région du monde (56 % au Nicaragua, 68 % en Argentine, 37 % au Pérou et 30 % au Brésil) : en 1990, chaque Latino-Américain est censé assumer une dette de 1 000 dollars qui représente la moitié de son revenu annuel.