Cette défaite des modernes devait évidemment faciliter le grand retour des « anciens ». Et l'on a vu, en effet, émerger un peu partout les signes d'un néo-conservatisme confus : rejet de l'éphémère, regain d'intérêt pour les choses et les idées durables, stables ; expression d'un besoin d'ordre, de clarté, d'authenticité ; retour des préoccupations écologiques ; volonté de consensus sur l'essentiel, c'est-à-dire sur les menaces qui pèsent sur l'avenir de la civilisation (pollution, création d'emplois, financement des régimes de retraite et de maladie, etc.).

Les Français sont donc rentrés dans leur coquille. Ce syndrome du bernard-l'ermite est illustré par l'importance croissante du foyer, qui devient une véritable bulle socialement stérile, à l'abri des agressions et des menaces extérieures.

Certains observateurs ont qualifié ce mouvement conservateur de révolution bourgeoise. Il faut s'entendre sur le mot. Si l'on considère qu'être bourgeois c'est avoir le sens du devoir, celui de l'épargne ou celui du commerce, alors il est clair que les Français de 1988 ne sont pas des néo-bourgeois. Ils délèguent, en effet, volontiers une partie de leurs devoirs (de citoyen, de parent, d'agent de la production économique) à l'État, à l'école ou aux entreprises. Ils préfèrent de plus en plus nettement la consommation à l'épargne (voir ci-après). Quant à leur sens du commerce, il suffit de regarder les chiffres de la balance commerciale, l'accueil dans les magasins, les heures d'ouverture des banques ou l'appréciation que portent les touristes étrangers sur l'hospitalité française pour en juger.

Mais la bourgeoisie, c'est aussi la priorité donnée « au solide et au matériel, par rapport à ce qui est beau et raffiné » (Larousse). Force est de constater que les Français sont plus proches de cette définition, qui qualifie plutôt l'état d'esprit « petit-bourgeois ».

Il semble bien que le rêve des citoyens des pays libres, depuis 1789, soit d'accéder au statut de bourgeois. Le développement du capitalisme n'a fait, dans ces pays, qu'accélérer le processus de satisfaction d'un besoin qui est peut-être inscrit dans la nature humaine.

Le réflexe matérialiste

La conséquence générale de cette situation est que les Français se sentent de plus en plus mal dans leur peau. Certes, l'aveuglement ou le refus de voir la crise en face, caractéristiques des années 1973 à 1982, ont fait place récemment à une prise de conscience progressive de l'état du monde, de la France et des véritables enjeux. Mais cette prise de conscience n'a pas débouché sur une volonté collective de résoudre les problèmes.

Au contraire, beaucoup de Français cherchent à s'étourdir dans la consommation et les satisfactions à courte vue. Comme si, dans une société sans véritable projet ils donnaient la priorité aux objets. Pour maintenir ou même accroître leur capacité de consommation, les Français ont réduit leur épargne (18 % du revenu disponible en 1978, 12 % en 1988). Ils ont aussi augmenté leur recours au crédit dans des proportions considérables : + 40 % en 1986 et en 1987. Une attitude d'ailleurs largement entretenue par l'imagerie médiatique, qui fait une place croissante aux annonceurs et aux sponsors ; les publicités se multiplient à la télévision, de même que les jeux, dont les promesses de gains sont de véritables hymnes à la consommation.

La culture actuelle se caractérise donc essentiellement par la recherche du confort. Et son contraire, l'effort, connaît une désaffection très nette. La société de consommation est plus que jamais à l'ordre du jour, mais elle prend de nouvelles formes. Les produits-phares des années 70 et du début des années 80 étaient des produits de « différenciation » : automobile ; vêtements ; objets de standing... Ceux de la fin des années 80 sont plutôt des produits de « distanciation » (télévision, magnétoscope, ordinateur, Minitel, équipements de sécurité...) qui permettent de se maintenir en relation avec le monde extérieur tout en restant extérieur à lui.

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que l'argent tienne une place tout à fait centrale. Pour pouvoir en dépenser davantage, les Français souhaitent en gagner plus. C'est ce qui explique les grèves de la fin de l'année dans le secteur public : infirmières, employés de l'audiovisuel, gardiens de prison (voir le point d'actualité sur les prisons), agents de la RATP, enseignants, etc.