À une époque où la quasi-totalité des foyers sont équipés d'un récepteur de télévision, où les Français passent en moyenne près de trois heures chaque jour devant leur petit écran, il est clair que la forme de la communication prend une importance considérable. Après une journée de travail et le journal télévisé du soir qui apporte son lot quotidien de catastrophes, la prestation d'un Bernard Tapie est généralement mieux reçue dans les foyers que celle d'un expert de l'INSEE ou du CNRS. Interrogés sur le même sujet (par exemple la création d'entreprise), le premier sera probablement plus regardé que le second, même si celui-ci a des révélations à faire sur l'état du monde, tel qu'il apparaît dans les études qu'il conduit. Dans la galaxie Mac Luhan, les temps seront de plus en plus difficiles pour ceux qui continueront de penser que ce que l'on dit mérite plus d'intérêt que la façon dont on le dit... La crise des intellectuels est donc autant une crise de la forme qu'une crise du contenu. Il ne leur suffira pas d'inventer de nouvelles explications (même crédibles) aux mouvements apparemment erratiques du monde contemporain pour retrouver l'influence qu'ils avaient dans le passé. Il leur faudra aussi faire preuve d'une forme nouvelle de respect pour un public dont ils ne peuvent plus ignorer l'évolution et les goûts, simples et légitimes. En attendant, ce sont les « nouveaux gourous » qui continueront de jouer le rôle, essentiel, de miroir-guide-directeur de conscience auprès d'une large majorité de Français. Une situation à la fois logique et préoccupante. Car elle montre aussi bien la force de la société médiatisée dans laquelle nous vivons désormais que les excès et les insuffisances qu'elle peut engendrer. C'est finalement à tous les Français de veiller à ce que la médiatisation ne soit pas synonyme de médiocratisation.

Gérard Mermet
Ingénieur Arts et Métiers, MBA de l'université de Columbia (New York), enseignant à l'université de Paris-Dauphine, Gérard Mermet est un spécialiste de l'analyse des modes de vie et du changement social et collabore aux travaux de plusieurs sociétés d'études. Il est l'auteur de Francoscopie et de la Bataille des images (Larousse).