Mais il est sans doute plus honnête — et aussi plus encourageant — de reconnaître, tout simplement, l'afflux, sensible, d'excellents films, étrangers mais aussi français, depuis l'automne 1981.

Il ne faut pas prendre les spectateurs de cinéma pour des canards sauvages : ils vont au spectacle quand le spectacle en vaut la peine. Et, cette année, on peut le dire, il en a souvent valu la peine...

France

Si l'année s'est terminée par une pirouette en forme de provocation avec la sélection française à Cannes, résolument périphérique (le nouveau terme pour marginal), qui a préféré Invitation au voyage, de Peter del Monte, Douce enquête sur la violence de Jean-Pierre Guérin, et À toute allure de Robert Kramer — trois films à mini-budget et maxi-ennui — aux dernières productions de nos cinéastes confirmés, taxés, à juste titre parfois, d'essoufflement, il ne faut voir là qu'un incident de parcours plutôt incongru. Car le crû 1981-82, dans l'ensemble, se distingue par sa qualité incontestablement supérieure à ceux des années précédentes. Et le public ne s'y est pas trompé : au hit-parade, on trouve, rarissime record, 12 films français sur les 16 qui ont, cette année, dépassé le cap des 500 000 entrées.

Il est vrai que ces champions du box-office ne sont pas toujours les plus convaincantes réussites artistiques... Mais il est vrai aussi que, si l'on ne recense aucun chef-d'œuvre, on constate en survolant notre production un impressionnant peloton de vrais bons films, de ceux auxquels on peut décerner le label qualité France, soignés, fignolés et, surtout, remarquablement interprétés. L'année a été, en effet, celle des comédiens. Toujours les mêmes, d'ailleurs, et qui, souvent, c'est le risque, portent sur leurs épaules solides des films pour le reste un peu fluets. Depardieu, Serrault, Brasseur, en tête, parce qu'on les a vus chacun dans plusieurs films et qu'ils n'ont jamais été meilleurs, Noiret, Ventura, Dewaere, et, bien sûr, Belmondo et Delon, côté hommes. Romy Schneider, pour la dernière année hélas, Catherine Deneuve, la grande Signoret, côté femmes, sans oublier Miou-Miou, et Nathalie Baye, partie plus tard et qui, cette fois, arrive elle aussi au zénith.

Si les têtes d'affiche, donc, ne changent pas, la production française de l'année se caractérise en revanche par un louable effort de diversification des genres. Elle compte, même, deux films qui sortent complètement des normes, deux films inclassables et qui sont, chacun dans leur registre, deux éclatantes réussites : Coup de torchon et La guerre du feu.

Le premier, signé Bertrand Tavernier, réunit Noiret (formidable), Isabelle Huppert, Jean-Pierre Marielle, Guy Marchand (un second rôle qui monte) et un débutant, ici irrésistible, nommé Eddy Mitchell, dans une comédie métaphysique d'un humour grinçant, un réquisitoire, en forme de farce tragique, contre le racisme, la bêtise, la violence, la cupidité, la lâcheté. Le coup de ... génie de Tavernier, qui adaptait une série noire de Jim Thompson, est d'en avoir fait une œuvre à la fois rigolarde et pathétique, où Noiret, en flic persécuté qui se venge en tuant, fait une composition inoubliable dans un registre totalement différent de ses rôles habituels. Un film qui dérange, mais d'une rare originalité.

Le second, une coproduction à très gros budget, signée Jean-Jacques Annaud, n'a ni vedette ni dialogues. Adapter le roman de Rosny Aîné (que nos enfants ne lisent plus guère sans doute), c'était, au départ, une immense gageure. Jean-Jacques Annaud l'a gagnée haut la main, en réussissant le prodige d'éviter le ridicule d'une reconstitution en carton pâte de notre préhistoire et, mieux encore, en parvenant à émouvoir avec un récit où les seuls échanges sont des grognements et des rires... Plébiscité non seulement en France, mais dans le monde entier, ce film fait sauter le verrou de notre traditionnel cinéma hexagonal, difficilement exportable, en prouvant que l'on sait aussi — à condition d'en avoir les moyens —, comme les Américains, concevoir des œuvres qui intéressent un public international.

Intimiste

En dehors de ces deux spécimens exceptionnels, un troisième film, plus intimiste et moins convaincant, tente, lui aussi, de s'écarter des normes habituelles. C'est Une étrange affaire, que Pierre Granier-Deferre a tiré d'un roman très fluet de Jean-Marc Roberts. L'histoire d'un envoûtement, celui d'un employé par son patron. Une plongée dans le monde des bureaux, dans la mentalité des cadres — on aurait aimé ici plus de vigueur — et la description d'une progressive dépersonnalisation. Sans doute, Granier-Deferre n'est pas Losey, et son cadre hypnotisé ne ressemble en rien au jeune homme du Servant. Mais, grâce à Michel Piccoli et à la séduction équivoque dont il a le secret, le film par moments obtient presque la même étrange ambiguïté.