Un autre public, souvent très jeune lui aussi, se retrouve dans ces célébrations barbares que sont les concerts de hard rock : décibels à gogo, attitudes machos proches de la caricature et rythmes simplistes. Les pires ne laissent que le souvenir d'une bonne migraine Judas Priest (décembre), Tygers of Pan Tang (février). Les meilleurs ont eu le bon goût de glisser beaucoup de blues, donc de swing, dans leur artillerie lourde, comme les Américains Foreigner, 38 Spécial ou Blackfoot (été 81). Les Australiens Rose Tattoo (été 81) ou AC/DC (été 82) font retrouver aux enfants de 14 à 16 ans, qui constituent l'essentiel de leur public, les délices des fracas galactiques de Goldorak. Leurs parents préfèrent aller verser une larme de nostalgie auprès du Grateful Dead (octobre), dinosaure californien spécialiste des concerts marathons, dernier survivant de la saga du San Francisco des années 60. À moins qu'ils ne préfèrent Simon et Garfunkel ou les Rolling Stones.

Pour ces deux événements, il a fallu trouver un espace assez vaste pour accueillir des foules avoisinant la centaine de milliers de spectateurs. Forts de leur succès à New York devant un demi-million de personnes, Simon et Garfunkel viennent (juin) retrouver à Paris un public qui apprécie depuis longtemps leurs chansons. La pelouse d'Auteuil a été aménagée pour les recevoir, ainsi que les Rolling Stones, la semaine suivante. Les Stones sont un mystère. On les dit périodiquement fichus, lessivés, séparés, fatigués de jouer du rock. Et puis ils reprennent la route, sortent de nouveaux albums. Leur concert mêle très habilement l'ancien et le neuf, la légende et la réalité d'aujourd'hui. S'il est vrai que certains membres du groupe donnent plutôt l'impression « d'aller au charbon », chez les leaders, Keith Richards et Mick Jagger, l'enthousiasme est demeuré intact. Et les riffs tranchants de la guitare de Keith résument de manière percutante vingt années entièrement consacrées au rock and roll.

Hommage

Pendant ce temps, leur père à tous, Bo Diddley, fait à peine quelques centaines d'entrées au Palace (février). Ce génial inventeur de riffs, d'accords très difficiles à imiter, a pourtant jeté les bases de toute cette musique dès le milieu des années 50. Seuls, les Clash (Mogador, en septembre) ont su lui rendre hommage, en imposant sa participation à certaines de leurs tournées. Il est vrai que le quatuor anglais se veut, souvent à juste titre, le dernier représentant de la race des vrais rockers, révoltés permanents, clochards célestes et perdants magnifiques. Comme cet autre déviant, Willie Loco Alexander (Rex, en mars), tantôt plongeur dans un restaurant de Boston, tantôt légende vivante propulsée sur le devant d'une scène par un organisateur éclairé. Si le rock survit, au milieu des marécages mercantiles et des modes éphémères, c'est surtout grâce à ce genre de personnage.

Grâce aussi à de rares musiciens comme Frank Zappa, dont la énième tournée (mai-juin) présente encore une œuvre surprenante de cohésion, d'invention, de richesse d'écriture — un mot qu'il est sans doute l'un des rares à pouvoir revendiquer dans toute sa signification. Zappa restera l'un des seuls noms de l'histoire du rock à passer à la postérité au chapitre des compositeurs. Sa musique a d'ailleurs inspiré plus d'un de ses confrères du répertoire classique, puisque tour à tour les chefs d'orchestre Zubin Mehta et Lorin Maazel, ainsi que notre Pierre Boulez, ont travaillé avec lui — voire envisagé des créations communes.

L'équivalent moderne de Frank Zappa dans le monde du jazz serait une femme, Carla Bley (mars). En collaborant parfois avec son mari, le trompettiste Michael Mantler, elle a composé un ensemble d'œuvres où se retrouvent les grands thèmes des musiques contemporaines : influences orientales, free jazz, opéra, rock and roll, blues... Ses pièces ont la saveur des collages surréalistes, avec une touche de sentiment un peu rétro et un goût certain pour les mélodies, très loin des architectures complexes d'un Anthony Braxton.