Depuis Café Muller, évocation de ses impressions d'enfant confrontée au monde des adultes, jusqu'à Kontakthof, qui entreprend de démystifier les codes de la séduction, Pina Bausch s'affirme comme un véritable démiurge et hausse le ballet au rang de la tragédie ; en fait, elle renouvelle par la danse des formes théâtrales usées. Elle est suivie dans cette voie par ses compatriotes Reinhilde Hoffmann et Suzan Linke. Toutes trois assurent le triomphe de l'école d'Essen et le renouveau de l'expressionnisme allemand, influencé à la fois par Kurt Jooss (le chorégraphe de La table verte) et Mary Wigman.

À travers la danse Butô, les Japonais ont révélé en France, voici quelques années, l'existence d'un mouvement contestataire, dirigé contre la défaite de 44, la bombe d'Hiroshima et l'influence américaine, qui a depuis submergé le pays ; révolte aussi contre le Japon traditionnel. La danse Butô est la recherche du salut à travers le retour à la pré-naissance, au chaos ; elle suppose des gestes violents ou extrêmement sophistiqués. Elle s'est manifestée cette année avec le groupe féminin Ariadone, dirigé par Carlotta Ikeda, qui danse les chorégraphies dures et spasmodiques de Ko Murobushi, et le groupe Sankaï Juku, de tendance homosexuelle. Son chorégraphe, Amagatsu, donne à travers des œuvres comme Graine de Cumquat une nouvelle dimension au surréalisme.

Toutes ces tendances diverses et foisonnantes sont accueillies au Centre Georges-Pompidou, qui a présenté également cette saison des créations des jeunes chorégraphes François Verret, Ulysse Dove et Jacques Garnier... dansées par le Groupe de recherches de l'Opéra de Paris, et au Théâtre de la Ville, qui, depuis plus de dix ans, assure une sorte de panorama de la danse mondiale. Malgré l'incendie qui a privé les abonnés de leur scène familière, le Théâtre de la Ville a pu assurer ses engagements soit à Créteil (Pina Bausch, Jean-Claude Gallotta), soit au Théâtre de Paris (Antonio Gadès, Sankaï Juku, le Theatro del spacio de Mexico dirigé par Michel Descombey, Murray Louis, Nikolaïs, le Théâtre du Silence, Jean-Claude Gallotta). Enfin, Carolyn Carlson est venue de Venise, où elle réside, pour danser avec sa troupe de la Fenice une de ces œuvres poétiques dont elle a le secret.

La saison de la Maison de la danse de Lyon, très éclectique, a vu augmenter le nombre des abonnés. Elle s'est achevée sur une trilogie consacrée au thème de Giselle, avec une prestation du Ballet de Houston, une fantaisie surréaliste de Graziella Martinez et une réécriture de l'ouvrage par la compagnie locale de Michel Hallet.

Palais Garnier

À l'Opéra de Paris s'achève le règne de Bernard Lefort — très contesté —, qui doit être remplacé à la fin de la saison 1982 par un administrateur, réputé à la fois pour son autoritarisme et sa souplesse, M. Bogianckino, actuellement directeur de l'Opéra de Florence.

En attendant, le ballet fait preuve d'une activité fébrile ; ses trois troupes sont constamment en répétition et en tournée, au point que l'on finit par se demander si cette agitation permanente ne nuit pas à la qualité d'ouvrages souvent trop rapidement ou insuffisamment préparés. C'est le problème qu'a mis en lumière la création du Songe d'une nuit d'été, où John Neumeier, venu spécialement de Hambourg pour monter son ballet, s'est heurté à des questions d'horaires, de distribution, de répétitions, qui lui donnent peu envie de renouveler cette expérience parisienne.

Le songe d'une nuit d'été, malgré ces avatars, a obtenu un grand succès. C'est une œuvre qui convient parfaitement au cadre du Palais Garnier. Elle mêle, suivant la tradition anglo-saxonne, le classique et le moderne, le sérieux et le burlesque, sur des musiques empruntées à Mendelssohn et à Ligeti. Elle met en valeur les talents de Noëlla Pontois, Patrick Dupond et Moniques Loudières, la révélation de 1982, également bonne comédienne.

Autre création de l'année La belle au bois dormant, adaptée par Rosella Hightower, montée dans des costumes superbes de Bernard Dayde et bénéficiant des techniques de l'audiovisuel. Des motifs colorés, imaginés par Serge Diakonoff, sont projetés sur des décors inspirés de fameuses illustrations de Gustave Doré. Le procédé, assez proche finalement de ceux qui sont employés par Nikolaïs, a eu l'avantage de rendre le ballet plus lisible pour le public du Palais des Congrès, souvent placé loin de la scène, mais il ne constitue pas une invention en soi.

Idole

Les festivals présentent un panorama de l'état de la danse dans le monde. Ils ont témoigné cette année de la nostalgie de l'Amérique pour son passé, avec la résurgence à Chateauvallon de Martha Graham, pionnière de la modern dance, âgée de quatre-vingt-six ans, ce qui ne l'empêche pas de créer de nouveaux ballets. Le Festival d'automne, dirigé par Michel Guy, a donné, de son côté, la vedette à un jeune homme de soixante-huit ans, Merce Cunningham, plus créatif que jamais.