Journal de l'année Édition 1980 1980Éd. 1980

Jean-Pierre Chevènement, leader du CERES (l'aile gauche du parti), tentera bien de se glisser dans le jeu en annonçant son intention d'être candidat si François Mitterrand ne l'était pas. Mais ses chances, déjà maigres, s'amenuisent avec le divorce de la gauche.

Entre François Mitterrand et Michel Rocard, une course d'attente commence. Chacun soigne son image et rivalise de subtilité tactique. L'un et l'autre rompent, bien sûr, des lances contre le gouvernement. François Mitterrand marque un point en faisant adopter un projet socialiste, texte de références qui engage désormais le parti. Les instances dirigeantes du PS l'adoptent en octobre à l'unanimité. En janvier, une convention extraordinaire le ratifie à l'unanimité, elle aussi, et dans la même ambiguïté. Le texte prône l'Union de la gauche et la rupture avec le capitalisme. Les minoritaires, rocardiens ou amis de Pierre Mauroy, tous suspects de tendresse pour la social-démocratie, se sentent obligés d'approuver des propos qu'ils jugent médiocres. La direction du PS a imposé son orientation. Celle-ci a tout de même l'inconvénient de ne déboucher sur aucune perspective concrète.

Pour le reste, François Mitterrand joue habilement les fédérateurs. Il délie en décembre le député-maire de Conflans-Ste-Honorine de l'engagement de ne pas être candidat avant ou contre lui-même. Il pose à l'interlocuteur privilégié tant des partis eurocommunistes que de Valéry Giscard d'Estaing, qui s'y prête. En novembre, une rencontre de courtoisie (elle a duré quelques minutes) avec Jacques Chirac, a fait gloser le Tout-Paris politique. On y voit une poignée de mains lourde de conséquences électorales. En février, le leader socialiste n'écarte pas l'hypothèse de « gouverner seul », si les communistes se refusent à l'alliance. En juin, surtout, le 24, il dresse contre Valéry Giscard d'Estaing, tout au long d'une conférence de presse très critique, un véritable réquisitoire de politique étrangère avec, comme leitmotiv, « manque de fermeté ». La presse unanime commente « c'est un ton de candidat ». François Mitterrand achève ainsi l'année en étant candidat sans le dire.

Michel Rocard, lui, se trouve dans la situation exactement inverse. Il s'avoue prêt à entrer en lice pour peu qu'on le désigne. C'est ce qu'il a proclamé dès février à la télévision, promptement soutenu par Pierre Mauroy. Mais il lui faut attendre, pour savoir si François Mitterrand entend tenter sa dernière chance, ou si (comme il le souhaite) il peut lui-même expérimenter la sienne. Le PS, occupé par ses compétitions internes, obtient des scores honorables aux élections municipales et cantonales partielles, mais se bat toujours autour d'une ligne officielle qui ne correspond plus guère à la nouvelle situation. Chaque événement, interne ou international, le sépare en effet un peu plus d'un partenaire auquel il ne veut pas renoncer. C'est la stratégie de la nostalgie.

Dans la majorité, on ne se contente pas d'enregistrer la discorde chez l'ennemi. On l'imite, et, de plus en plus, véhémentement. On pratique, là aussi, l'art de la division. L'autodétermination remplace la solidarité. Il y a désormais, au sein de la majorité, un RPR qui se démarque chaque mois davantage et un gouvernement qui ne peut compter tout à fait que sur l'UDF.

Bilan politique et social

Raymond Barre a légèrement modifié la composition de son équipe ministérielle. Elle est beaucoup attaquée.

Dès le mois d'août 1979, le troisième anniversaire de la nomination de Raymond Barre à Matignon est l'occasion d'une violente polémique sur le bilan du Premier ministre. Celui-ci a fermement maintenu son cap économique, se battant pour modérer les hausses des salaires, limiter le déficit budgétaire, défendre le franc et permettre aux entreprises de reconstituer leurs marges bénéficiaires. Cette logique néolibérale a le mérite de la cohérence et de la détermination. Mais l'inflation s'est poursuivie, le pouvoir d'achat a, naturellement, cessé d'augmenter, le nombre des demandeurs d'emploi continue à s'élever, même si c'est à un rythme ralenti. Le Premier ministre joue de sa compétence, de son autorité, de son obstination. Ses adversaires incriminent sa suffisance, son entêtement, ce qu'ils croient être son insensibilité. Lorsqu'en octobre Raymond Barre est hospitalisé neuf jours au Val-de-Grâce, après une alerte cardiaque, sa maladie lui rend presque service, en humanisant une image qui a besoin de l'être.