Déjà, la mission confiée à Bernard Tricot avait pour but d'améliorer la qualité des bâtiments publics, qui doivent, bien sûr, donner l'exemple. Deux ans après, les travaux très consciencieux de la mission où sont représentées toutes les administrations, les plus lucides comme les plus fautives, semblent piétiner un peu dans les rapports trop polis et les réformes trop sages. On a supprimé autoritairement les modèles, cette pseudo-architecture en prêt-à-porter qui répand, d'une région à l'autre, dans les villages et les grandes villes, des bâtiments stéréotypés.

Mais des administrations têtues, comme les Télécommunications ou la Santé par exemple, ont obtenu des sursis, sous prétexte d'urgence ou de haute technicité. On remarque par ailleurs que les ministères les plus dociles et les plus ouverts au changement sont ceux qui sont sortis des périodes de grande hâte. Comme on ne construit plus aujourd'hui un CES par jour, on prend le temps, au ministère de l'Éducation par exemple, de réfléchir à l'architecture, de remplacer les modèles condamnés par des « systèmes constructifs » et de faire plus souvent intervenir les architectes sur le terrain.

Protecteur

Comme son prédécesseur cultivait l'art moderne dans son jardin particulier, le président de la République a voulu se faire premier écologiste de France, ami de l'architecture et protecteur d'un nouveau style français, qui reste à définir.

En vrai libéral — et un rien embarrassé, il faut le dire —, le président n'a évidemment donné aucune directive, défini aucune tendance. Ses conseillers veillent à ouvrir aux nouveaux talents, français exclusivement, les concours et les compétitions diverses ; le siège de la SNCF, le nouveau musée des sciences de la Villette, celui du xixe siècle à la gare d'Orsay...

Du souci de la mesure et de l'élégance, vertus françaises, du goût général pour le passé bien tempéré, des prudences d'une génération marquée par l'échec des utopies, va naître un style nouveau et familier à la fois, souvent redondant de passéisme, parfois subtilement inventif, un style sous influences. Comme si un ordinateur avait pu intégrer les données inconciliables de l'art et de la politique, du goût commun et de l'esthétisme avancé.

On peut déjà contempler les premières pousses de ces plantes de serre, garanties dans l'air confiné des commissions des sites.

Illusion

La province a ses spécialités. Un vaste inventaire disparate était présenté dans une exposition au Grand Palais intitulée Construire en quartier ancien. À Auxerre, à Angers, à Chambéry, à Lyon, les architectes ont mis au point des recettes locales qui font illusion. À Strasbourg, un promoteur astucieux a trouvé, sur le quai Finkwiller, le moyen de concilier régionalisme et rentabilité : les fortes pentes des toitures alsaciennes permettent de loger de nombreux studios dans les combles. Les façades se teintent de couleurs tendres à Colmar et à Angers, violentes à Auxerre ou à Annecy. On retrouve sur les toits l'ardoise dans l'Ouest, la tuile plate ou romaine dans le Sud.

Même les constructeurs de maisons individuelles ont régionalisé leurs catalogues et rivalisent à coup de tourelles et de pierres apparentes. La Bretagne, pionnière dans le respect des traditions, n'est plus qu'une mer d'ardoise sur crépi blanc. Parfois, comme pour cette banque de Quimper, on remarque un effort louable de recherche qui concilie modernité raisonnable et tradition locale. Les villages de vacances et l'architecture de loisir ne sont pas en reste. On inaugure, en janvier, à Chamonix, un Port-Grimaud des neiges : des studios et des deux-pièces à grande contenance pour les skieurs ont été aménagés dans un ensemble d'immeubles faussement divisé en maisons particulières. D'une façade à sa voisine, les dessins, les gammes de couleurs acidulées varient, offrant un aimable patchwork soigneusement étudié par l'architecte Gérard Bauer.

Théoricien du kitsch, apôtre du retour au goût sinon vulgaire, du moins commun, Gérard Bauer affecte une grande admiration pour les « inspirés du bord des routes », les créateurs du dimanche et les artistes des Sam'suffit. Pour Chamonix, il a préparé sa palette par une enquête dans les pays voisins, inventoriant l'architecture et la décoration des cités alpines. Le résultat est très gai. Un folklore de qualité... qui vieillira bien.

Pasticher

Le goût de l'ancien est si fort, il aplanit tant de difficultés, rassure les édiles et les associations de défense, soulage les commissions des sites et décourage les critiques, qu'on n'ose s'en écarter et que bientôt on ne distinguera plus la copie de l'authentique.