La crise ? Elle n'a jamais été plus sévère et personne n'ose affirmer que le creux de la vague est atteint. Tandis que la flotte mondiale reste largement excédentaire (sur cinq navires, il y en a un de trop), le déséquilibre s'aggrave entre les capacités de production des chantiers (20 millions de tonneaux) et la demande de navires neufs (7 millions). Selon les experts des constructeurs de l'Europe de l'Ouest, la situation ira se dégradant jusqu'en 1980 et l'on ne retrouvera un niveau d'activité égal à celui de la période 1975-1977 c'est-à-dire médiocre — que vers 1985.

Le déséquilibre conjoncturel est d'ailleurs aggravé par l'émergence irrésistible de nouvelles puissances maritimes. Sur les mers, pays en voie de développement et pays de l'Est ont entamé une vaste offensive : en 1978, par exemple, la Chine aura acheté 40 navires neufs et une centaine de bâtiments d'occasion. Sa flotte arriverait, aujourd'hui, au 10e rang mondial. Le même phénomène s'est produit dans la construction navale où, pour les carnets de commandes, le challenger du Japon est le Brésil, où la Pologne et l'Espagne ont dépassé la Grande-Bretagne et les pays Scandinaves.

Concurrence nouvelle

Les constructeurs traditionnels se retrouvent donc dans une situation impossible, laminés entre la chute de la demande et la montée d'une concurrence nouvelle, asphyxiés en outre par des prix tellement bas qu'ils représentent à peine 50 % de leurs prix de revient (cas des chantiers européens). La conséquence est maintenant claire : la moitié des chantiers vont devoir disparaître. Dans l'ordre ou dans la douleur, tous les pays constructeurs traditionnels, Japon compris, ont entrepris d'ores et déjà de réduire de 30 à 50 % leurs capacités de production.

Les Français s'y sont mis en 1979, avec du retard, mais avec moins de heurts qu'on ne pouvait le craindre. Bien équipés, axés sur des constructions spécialisées (et aidés par le programme de développement de la flotte nationale), les chantiers français avaient jusque-là résisté à la crise plutôt mieux que leurs concurrents. Mais 1979 s'annonçait critique : 500 000 tonneaux de commandes devaient impérieusement être pris avant la fin de l'année pour assurer la survie du secteur. Et, en l'absence d'un réel plan de crise, on pouvait redouter deux choses : que plusieurs chantiers navals se retrouvent brutalement avec une charge de travail nulle ; et qu'une fois de plus les problèmes soient réglés à la française, c'est-à-dire à chaud et dans les pires conditions, exactement comme cela se passait dans la sidérurgie.

Retournement

Or, au printemps 1979, le niveau des commandes enregistrées dépassait déjà 300 000 tonneaux. Dès le début du mois de mars, le ministre des Transports assurait, lors d'une rencontre avec les syndicats de ce secteur, que « la France ne pouvait se passer de construction navale » et ajoutait que 1979 s'achèverait vraisemblablement sans licenciement.

Bref, un retournement de situation. Ce résultat obtenu au plus fort de la crise était d'autant plus spectaculaire que, sur les 13 navires en commande en mai 1979, 8 étaient destinés à des armements étrangers. Mais, à vrai dire, ces contrats coûtent cher aux chantiers et aux contribuables français : en gros, chacun des navires est vendu à la moitié de son prix de revient réel ; la différence est couverte pour un tiers par les chantiers eux-mêmes, pour deux tiers par des aides de l'État. Celui-ci aura ainsi déboursé, fin 1979, au moins, 1,3 milliard de F.

Ce répit a été mis à profit pour organiser enfin le repli de la construction navale française. Personne ne se risque encore à fixer un objectif chiffré à la réduction des capacités, mais des négociations ont commencé en avril 1979, chantier par chantier, entre direction et syndicats, pour tenter de réduire sans trop de douleur le niveau de l'emploi (préretraites, aides aux départs volontaires, etc.). L'implantation d'industries nouvelles dans les régions traditionnelles de la construction navale (notamment sur la Loire-Atlantique et la Méditerranée) doit également adoucir les effets de la crise en évitant la formation de Longwy de la Navale.