Journal de l'année Édition 1979 1979Éd. 1979

Toutes ces raisons sont présentes à l'esprit des deux hommes qui vont être les véritables artisans du projet : Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt. Ce sont eux qui en parlent les premiers, lors de leurs tête-à-tête réguliers. Chacun d'entre eux a, en outre, des raisons spécifiques de vouloir avancer dans cette voie. Le président français souhaite placer l'économie française dans une sorte de corset monétaire qui lui imposerait durablement les disciplines que son Premier ministre actuel, Raymond Barre, s'efforce de lui inculquer. Lier le franc au mark, c'est une façon d'institutionnaliser le barrisme, éventuellement sans Barre. La France fait la moitié de son commerce extérieur avec les pays de la Communauté. Tout ce qui stabilise les relations économiques dans cette zone est donc un facteur de sécurité qui ne peut qu'encourager les entreprises à investir et à embaucher.

Du côté allemand, le chancelier songe aussi à ses débouchés extérieurs. L'Allemagne fait également près de la moitié de son commerce avec les pays de la Communauté. Elle a une industrie trop grande pour elle. Elle doit donc, impérativement, vendre au dehors. Or, la crise monétaire qui se prolonge depuis dix ans se traduit par une revalorisation régulière du mark. Ce qui veut dire que les produits allemands sont de plus en plus chers au dehors. Jusqu'à présent, la qualité de la production allemande a permis à cette industrie de garder ses marchés. Mais cela ne peut pas être éternel. Il est donc très important que le mark ne se réévalue pas trop par rapport aux autres monnaies européennes. Quel meilleur moyen d'y parvenir que de les encorder toutes ensemble ?

Ainsi, chacun a de bonnes raisons de vouloir une union monétaire en Europe. Cette mesure « nécessaire » est devenue, en outre, possible, depuis que les politiques économiques des pays membres se sont rapprochées du modèle allemand, c'est-à-dire d'une plus grande rigueur financière et d'une modération des revenus. C'est particulièrement évident en France avec le plan Barre, mais cela vaut aussi pour la Grande-Bretagne où le gouvernement travailliste impose aux syndicats une sévère déflation des salaires (il y perdra d'ailleurs le pouvoir...).

Montants compensatoires

Dès lors que la France et l'Allemagne sont d'accord, les choses vont vite en Europe. Au Conseil européen de Brême (7 juillet 1978), la décision de principe est prise de créer un nouveau système monétaire européen (SME). Les modalités pratiques en sont arrêtées au Conseil européen de Bruxelles, le 5 décembre 1978. Toutefois, l'application officielle n'intervient que le 13 mars 1979, car, au dernier moment, la France a jugé opportun de faire dépendre la création du SME d'une résorption des fameux montants compensatoires qui pénalisent son agriculture.

Ces montants compensatoires consistent, en effet, lorsqu'une monnaie se revalorise, à accorder aux exportations agricoles de ce pays, une subvention pour que les prix des produits exportés — exprimés en unités de compte européennes — ne soient pas plus élevés que les prix communautaires. L'agriculture allemande a bénéficié à plein de ce système, de même que l'agriculture hollandaise. Ce qui a défavorisé l'agriculture française, traditionnellement exportatrice, qui a perdu ainsi des marchés à l'étranger. En outre, le même système de montants compensatoires appliqué, en sens inverse, aux monnaies qui se dévalorisent aboutit à empêcher la hausse des prix agricoles à l'intérieur de ces pays, c'est-à-dire à pénaliser les agriculteurs français.

Finalement, un compromis intervient. On profitera des relèvements de prix agricoles communautaires pour faire disparaître progressivement les montants compensatoires positifs (c'est-à-dire ceux qui bénéficient aux pays à monnaie forte). De cette façon, en effet, on n'imposera pas aux agriculteurs de ces pays d'abaisser leurs prix en monnaie nationale, ce qui serait le cas s'ils devaient s'aligner sur des prix communautaires inchangés. C'est ce qui se passe le 21 juin 1979, à l'occasion de la fixation des prix agricoles européens.