Ainsi, l'expérience que nous fournit l'histoire moderne en matière de fécondité est celle d'une phase de reprise qui a suivi la grande baisse de la transition démographique, puis d'une nouvelle phase décroissante dont on ne peut aucunement situer le point bas. C'est dire combien notre expérience est courte pour juger des grandes évolutions de la fécondité !

Il est cependant un point qui ressort avec force des comparaisons internationales : c'est l'étroite analogie des courbes de fécondité entre les pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord. On retrouve en effet dans ces pays, avec des amplitudes plus ou moins marquées et éventuellement à des niveaux un peu différents, les mêmes allures générales, les mêmes inversions de tendance pour des générations sensiblement identiques, les analogies se faisant d'ailleurs de plus en plus étroites à mesure qu'on considère des périodes plus récentes. Cela donne à penser que les phénomènes qui gouvernent les évolutions de la fécondité n'obéissent pas à des déterminismes nationaux, mais relèvent au contraire du patrimoine commun à un ensemble culturel, économique et social, par ailleurs assez homogène.

Ces analogies entre pays sont encore plus nettes lorsqu'on examine l'évolution des indicateurs conjoncturels de la fécondité, qui mesurent le nombre moyen d'enfants par femme, calculé sur la base des taux de fécondité de l'année. C'est à quelques mois d'intervalle qu'en 1964-1965 tous les indicateurs conjoncturels se sont mis à baisser en Europe de l'Ouest, répondant à une sorte de signal mystérieux commun, cinq à sept ans après que le même phénomène se fût manifesté aux États-Unis et au Canada. Depuis lors, la baisse n'a cessé de se poursuivre, avec une pause très curieuse en 1971 dans un certain nombre d'entre eux (dont la France) : même les anomalies, dans un mouvement commun, sont communes !

Irréversible

Les valeurs auxquelles l'indicateur conjoncturel est parvenu dans divers pays (Allemagne fédérale, Luxembourg, Suisse, États-Unis, Canada) sont étonnamment faibles, inférieures à toutes celles jamais enregistrées dans le passé en période de paix (1,2 enfant par femme pour la population de nationalité luxembourgeoise en 1976 et pour le canton de Genève en 1975 ; 1,3 à 1,4 pour la population de nationalité allemande en 1975-1976). De ce fait, des décroissances démographiques sont apparues depuis quelques années en Allemagne fédérale, au Luxembourg, en Autriche.

Il nous paraît ne pas faire de doute que les indicateurs conjoncturels ont exagéré, dans la période récente, la baisse réelle de la fécondité : à la phase antérieure d'abaissement de l'âge au mariage (1955-1965) a succédé une pause et peut-être un renversement de tendance, l'espacement des naissances dans le mariage — facilité par les contraceptifs modernes — a dû s'allonger, autant de facteurs qui contribuent à précipiter la baisse de l'indicateur conjoncturel au-delà de la réalité profonde. Mais ce qui est sûr, c'est que les familles nombreuses (cinq enfants ou plus) sont en voie de disparition à peu près totale : la baisse actuelle ne se traduit pas par une augmentation des couples sans enfant, bien au contraire pourrait-on même dire, mais par une légère augmentation des familles d'un seul enfant, une forte augmentation des familles de deux enfants et une très forte diminution à partir de trois enfants. Il est vraisemblable que la « révolution démographique actuelle » soit précisément celle de la disparition sans doute irréversible des familles nombreuses.

L'indicateur conjoncturel français, qui atteignait 2,9 enfants par femme en 1964 (valeur exagérément élevée, puisque aucune génération féminine n'a atteint cette descendance depuis les femmes nées en 1870), a baissé modérément jusqu'en 1972. À cette époque, les effectifs féminins en âge d'avoir des enfants étaient chaque année plus nombreux avec l'arrivée à l'âge de la fécondité des générations féminines nées après 1946. De ce fait, le nombre absolu des naissances a peu varié de 1964 à 1972. Mais la chute de l'indicateur s'est précipitée à partir de 1973 et, en deux ans, la diminution du nombre des naissances a été de 110 000 (13 %). Au total, on a enregistré 720 000 naissances en 1976, contre 880 000 en 1972 (– 18 %).