Trop souvent, au cours de ces dernières années, les nouveaux conquérants venus du vieux continent arrivaient sans complexes, fiers de leurs technologies avancées et persuadés de n'avoir plus rien à apprendre dans le domaine parfois nébuleux du management à l'américaine. Certains, comme Renault ou Poclain, ont découvert que le marché était trop vaste, trop complexe pour être pénétré sans que soient déployés des moyens démesurés : ils ont échoué. D'autres, comme Rhône-Poulenc, ont fait gentiment leur trou (100 millions de dollars de chiffre d'affaires), sans véritablement s'imposer et, de ce fait, en essuyant des pertes renouvelées d'année en année. D'autres, enfin, comme Pechiney, ont modifié à plusieurs reprises leur stratégie (et leurs dirigeants) et englouti des millions de dollars avant de trouver, au bout d'une dizaine d'années, l'équilibre nécessaire à une saine exploitation.

Fleurons

En revanche, autant la chute peut être dure, autant le succès peut être éclatant, les filiales américaines de Pechiney (Puk C°), de Bic (Bic Pen Corporation). d'Imétal (Copperweld), de l'Air liquide (Liquid Air of North America), de Saint-Gobain-Pont-à-Mousson (Certain Teed) sont devenues, à l'heure actuelle, les plus beaux fleurons de leurs maisons mères respectives. Dans un proche avenir, celles de Gardinier, de Rossignol, de Michelin ou de l'Oréal sont susceptibles de faire de même.

La flexibilité du système économique américain (qui permet notamment d'adapter les effectifs au niveau de production et de déterminer, en toute liberté, la politique des prix) est une puissante pompe à puiser les profits et à refouler les pertes. Et, de toute façon, dans ce pays empreint de darwinisme, seuls les forts survivent. Il n'y a guère, comme chez nous, d'infirmeries pour canards boiteux.

Quelles que soient les pressions exercées sur elle par son environnement, une entreprise ne peut pas vivre sans croissance, 3,10, 15 % par an, année par année, cela fait partie de sa biologie. C'est pourquoi, après le recours à l'exportation (désormais largement répandu en France), l'investissement direct s'impose à elle. Et quel marché au monde peut offrir les attraits de 210 millions de consommateurs avides, homogènes, à haut pouvoir d'achat ? L'Amérique figure inévitablement dans la stratégie de développement d'une entreprise dynamique.

Pérennité

C'est donc un procès quelque peu injuste qui est fait a ces capitalistes — mauvais citoyens, qui paraissent abriter leurs actifs derrière les remparts du libéralisme américain. L'expérience montre, en effet, que l'implantation à l'étranger, si elle n'augmente pas le nombre d'emplois créés par la maison mère dans son pays d'origine, crée un courant d'exportations dont profitent les fournisseurs, sous-traitants, financiers, etc. Or il est grand temps d'améliorer notre balance commerciale avec les États-Unis.

Par ailleurs, si l'implantation est réussie, elle crée un potentiel d'autofinancement qui, par un facile transfert de capitaux, peut servir à boucher certains trous, à traverser une passe difficile.

Plutôt qu'un ras-le-bol devant les pressions syndicales, l'implantation des firmes françaises aux États-Unis représente le plus sûr moyen d'assurer leur propre pérennité. A-t-on jamais vu une multinationale (fût-elle suisse, suédoise ou britannique) renoncer à sa nationalité d'origine ?