La tension s'accroît encore un peu plus, s'il est possible, lorsqu'au début de juin Mgr Lefebvre vient à Rome prononcer une conférence presque sous les fenêtres du Vatican, chez une grande dame, la princesse Elvina Pallavicini. Cette fois encore, il attaque le Saint-Siège. Paul VI, alors, lui adresse une nouvelle lettre : Mgr Lefebvre ayant annoncé son intention d'ordonner prêtres quatorze séminaristes d'Écône, le pape lui demande de n'en rien faire, car il provoquerait ainsi une « rupture irrémédiable ». Le 29 juin, à Écône, Mgr Lefebvre procède quand même à ces ordinations. Le Vatican ne réagit pas immédiatement. Mais, pour la plupart des observateurs, il n'y a guère de doute : c'est bien la rupture.

Par comparaison avec l'affaire Lefebvre, les autres problèmes posés à l'Église de France paraissent mineurs, même lorsqu'ils sont fondamentaux. Ainsi l'épiscopat publie-t-il un document sur les prêtres mariés, admettant que, dans les paroisses et sous certaines conditions, ceux-ci puissent remplir des « services d'Église couramment assurés par des laïcs » (on signale à ce propos que, depuis 1945, 2 544 prêtres séculiers français, sur un effectif variant autour de 40 000, ont quitté le ministère). La contestation interne de gauche, par ailleurs, perd encore de sa vivacité : en témoigne le départ de la communauté de Boquen (quatre jeunes laïcs et le P. Guy Luszinsky) qui, sans bruit, entourée de quelques centaines d'amis, quitte le 26 septembre 1976 l'ancienne abbaye cistercienne désormais confiée à des religieuses.

La main tendue

C'est encore dans le domaine politique que l'actualité est le plus chargée. La publication par le parti socialiste, à l'époque de la rentrée scolaire, d'un plan qui prévoit la nationalisation de l'enseignement privé suscite une protestation du Secrétariat de l'enseignement catholique, mais l'affaire s'éteint pratiquement d'elle-même.

Les relations entre catholiques et marxistes, elles, suscitent des débats plus vifs. Le 10 juin 1976, à Lyon, devant un grand concours de militants, Georges Marchais lance solennellement un appel aux chrétiens. Le 11 juillet, Mgr Léon-Arthur Elchinger, évêque de Strasbourg, lui répond, sans le citer. C'est pour dénoncer « les graves ambiguïtés qu'inclut la stratégie de la main tendue ». Il est possible aux catholiques, dit-il en substance, de coopérer sur certains points avec les marxistes, mais l'idéologie de ceux-ci, la sacralisation de la lutte des classes, les moyens qu'ils emploient, sont inacceptables. Le ton de Mgr Maziers, archevêque de Bordeaux, dans un texte officiel du 15 octobre, est quelque peu différent : mettre en lumière les dangereuses limites du marxiste, écrit-il, « est nécessaire mais ne suffit pas ».

Cependant, l'aile gauche des catholiques tend à se regrouper. Les 6 et 7 juin 1976, à Orléans, 400 militants de cette tendance ont envisagé le lancement en France de Chrétiens pour le socialisme, mouvement lancé en 1972 au Chili. D'autres participent, aux Pays-Bas, du 12 au 14 novembre, au premier séminaire européen de ce mouvement, et le bulletin de presse de l'épiscopat français peut alors constater : « Il existe désormais à l'échelle européenne un mouvement de chrétiens ayant fait un choix politique marxiste. ». Mais L'Osservatore Romano du 15 février 1977 reproche à ce mouvement d'interpréter l'Évangile dans une perspective marxiste et de semer la confusion dans l'opinion publique.

Amérique latine

L'affaire de Riobamba témoigne des difficultés croissantes rencontrées par les Églises d'Amérique latine dans leurs rapports avec l'État. Le 9 août 1976 s'ouvre dans cette localité de l'Équateur une conférence pastorale réunissant 51 participants, dont 17 évêques venus d'Amérique du Sud, mais aussi des États-Unis. L'évêque du lieu, Mgr Proano, qui est l'hôte de la conférence, a déjà à plusieurs reprises pris parti contre les grands propriétaires lors de jacqueries paysannes, fréquentes dans cette région pauvre.

Le 12 août, une quarantaine de policiers portant des armes automatiques font irruption dans la salle de conférence et ordonnent aux congressistes d'évacuer les lieux. Embarqués dans des autocars, les participants seront mis au secret et interrogés pendant vingt-sept heures dans une caserne avant d'être invités à quitter le pays. L'événement provoque évidemment une grande émotion à travers tout le continent.

Chili

À leur retour au Chili, trois évêques de ce pays qui avaient participé à la réunion de Riobamba sont insultés, sur l'aéroport de Santiago, par des manifestants que dirigent des membres de la DINA, la police politique du gouvernement chilien. L'épiscopat chilien élève alors une vive protestation, et rappelle que toute personne ayant exercé des violences contre un évêque encourt automatiquement l'excommunication. Mais la déclaration de l'épiscopat va bien plus loin, puisqu'on y trouve cette phrase qui condamne le régime du général Pinochet : « En invoquant constamment la raison inattaquable de la sécurité nationale, on renforce sans cesse davantage un modèle de société qui étouffe les libertés fondamentales, foule aux pieds les droits les plus élémentaires et enferme les citoyens dans le carcan d'un État policier redoutable et omnipotent. » Par la suite, les autorités de l'Église chilienne ne cesseront de renouveler leurs mises en garde, notamment à l'occasion de l'expulsion de deux avocats connus, collaborateurs du Vicariat de la solidarité (organisme d'entraide sociale de l'épiscopat), ou en diffusant une étude de théologie morale réalisée par l'université catholique, qui comporte une vigoureuse condamnation de la torture.

Brésil

La situation de l'Église au Brésil est à peine meilleure. C'est ainsi que, le 22 septembre 1976, Mgr Adriano Hypolito, évêque franciscain de Nova Iguaçu, est enlevé par des individus armés appartenant à l'Alliance anticommuniste brésilienne. On le retrouvera nu, blessé et ligoté, dans une banlieue de Rio de Janeiro, après qu'il eut été torturé. Le 11 octobre, un jésuite, qui était venu s'informer au commissariat de police de Ribeiro de Garcas (État du Mato Grosso) du sort de quelques détenus politiques, est tué d'une balle dans la tête par un policier, devant l'évêque du lieu. La simple mention du nom de Dom Helder Camara est toujours interdite dans la presse, à la radio et à la télévision. Le 25 octobre, la conférence épiscopale adopte une déclaration demandant la punition des criminels, mais elle ajoute : « La simple condamnation des exécutants des crimes n'est pas suffisante pour apaiser la conscience des autorités tant que le système social, politique et économique continue à engendrer un ordre social caractérisé par l'injustice et favorisant la violence. »

Suisse

Une initiative visant à la séparation de l'Église et de l'État est déposée à la chancellerie fédérale en septembre 1976, avec l'appui de 62 000 signatures. Il a fallu trois ans pour rassembler ces signatures, et la plupart d'entre elles viennent de Suisse alémanique. Si ce texte était adopté, un délai de deux ans serait laissé aux cantons pour supprimer tous les rapports existant entre l'Église et l'État. Il deviendrait impossible, notamment, de percevoir un impôt ecclésiastique ou de financer des écoles confessionnelles avec des fonds d'État. À Zurich, une initiative cantonale allant dans le même sens a déjà abouti à la séparation. Le synode réformé a manifesté son opposition à ce projet ; la hiérarchie catholique également.

Rhodésie

La politique raciale du gouvernement accroît brutalement la tension entre l'Église et l'État. En septembre 1976, Mgr Donald Lamont, évêque d'Umtald, est condamné à dix ans de travaux forcés pour n'avoir pas dénoncé la présence de « terroristes » dans les missions et pour avoir invité les missionnaires à ne pas le faire. Un mois plus tôt, le 11 août, l'évêque avait adressé au gouvernement rhodésien une lettre ouverte dans laquelle il dénonçait sa politique avec la plus grande vigueur. Il écrivait notamment : « Dans un État qui prétend être démocratique, les gens sont brimés dans leurs libertés ou emprisonnés sans procès, torturés ou jugés à huis clos, pendus haut et court clandestinement. Et tous ces actes de barbarie sont commis par vous au nom du christianisme et de la civilisation occidentale dans le but de maintenir ce que vous appelez la « qualité rhodésienne ». À coup sûr, on ne saurait aller plus loin dans l'absurde. »