La méfiance apparaît désormais trop forte entre les adversaires pour qu'ils trouvent dans leurs propositions respectives les lignes convergentes susceptibles de les conduire à des accords partiels. Au discours de Nixon, à son voyage en Chine (en février), à sa visite à Moscou (en mai) Hanoi et ses alliés répondent par la plus importante offensive depuis le début de la guerre.

Le jeudi 30 mars, après un bombardement d'artillerie où pour la première fois sont utilisés des canons de 52 et 130 mm, les Nord-Vietnamiens franchissent la zone démilitarisée qui sépare les deux Viêt-nam. En moins de trois jours, leur infanterie, appuyée par des blindés, occupe la quasi-totalité de la province de Quang Tri. Profitant des retraits successifs des troupes américaines (moins de 100 000 hommes sont sur place et ils ne doivent pas être engagés dans les combats au sol), assuré de bases de ravitaillement au nord, mais aussi au Cambodge et au Laos, disposant enfin d'un matériel lourd (artillerie et blindés) fourni essentiellement par l'Union soviétique, le général Giap engage une guerre de conquête et de position, mais il ne néglige pas pour autant les techniques et les apports de la guerre révolutionnaire.

Quatre fronts

L'offensive se développe sur quatre fronts, visant des objectifs à la fois politiques et stratégiques :
– le front nord. Les troupes de Giap visent le contrôle des villes de la région : Quang Tri et Huê. La première tombe le 1er mai. Mais l'ancienne capitale impériale, évacuée de ses habitants et défendue par une unité d'élite de l'armée sud-vietnamienne, résiste ;
– le front des hauts plateaux. Il est ouvert dès les premiers jours d'avril par les troupes venues du Cambodge. Les forces nord-vietnamiennes encerclent Kontum et Pleiku et s'efforcent de faire leur jonction avec les Viêt-congs qui ont occupé Hoai An, proche de la côte. L'objectif de Giap semble être de couper le Sud Viêt-nam à cette hauteur. Toutefois, en dépit de combats acharnés (fin juin), cet objectif ne sera pas atteint ;
– le front de Saigon. Il est lui aussi ouvert les premiers jours d'avril, et l'offensive nord-vietnamienne à l'ouest de la capitale sera facilitée par la chute de positions gouvernementales dans le Sud cambodgien. Loc Ninh est occupé dès le 5 avril et Tay Ninh quelques jours plus tard ; mais la bataille la plus dure se déroule autour d'An Loc, sur la route no 13 qui mène à Saigon. La petite ville est, durant deux mois, le théâtre d'une bataille acharnée entre Nord et Sud-Vietnamiens. Les chars du général Giap s'approchent jusqu'à 60 km de Saigon ;
– le front du delta. À l'extrême sud enfin, dans le delta du Mékong, les maquisards, appuyés par des troupes venues du Cambodge, engagent la bataille pour le contrôle du grenier à riz du pays.

Les Nord-Vietnamiens sont restés silencieux sur les buts politiques de leur offensive, mais il est clair qu'ils visent quatre objectifs essentiels :
– faire échec à la vietnamisation, décidée il y a trois ans par le président Nixon. Effectivement, en quelques jours, l'offensive de Giap a bouleversé trois ans de patient travail. Les unités d'élite ont résisté à l'avance nord-vietnamienne, mais l'infrastructure militaire et surtout politique, laborieusement mise en place par le régime de Saigon, s'est effondrée ;
– obtenir le renversement du général Thieu. En attaquant sur plusieurs fronts à la fois, les Nord-Vietnamiens espéraient désorganiser le pays à tel point que Thieu aurait été obligé de se retirer. En juin, cet objectif n'est pas atteint, même si les Américains ne semblent plus prêts à soutenir Thieu coûte que coûte ;
– gagner des avantages en vue de la négociation. Les Nord-Vietnamiens savent qu'une négociation définitive sera un jour nécessaire. En occupant dès à présent une part importante du territoire sud-vietnamien, ils hâtent en un sens la discussion et se placent en position de force pour un éventuel cessez-le-feu. En juin, les différents fronts se stabilisent. D'abord surprises par le choc, les meilleures unités de l'armée sud-vietnamienne, appuyées par l'aviation américaine, se reprennent peu à peu et opposent aux attaques des Nord-Vietnamiens une résistance à laquelle ceux-ci ne s'attendaient pas ;
– prévenir des accords Washington-Moscou ou Washington-Pékin. La politique de coexistence active menée cette année par Nixon ne peut pas ne pas inquiéter le Nord Viêt-nam. Certes, celui-ci a bénéficié d'une aide militaire chinoise et surtout soviétique accrue, mais en même temps les dirigeants du pays sont conscients que les deux grands du communisme ne sacrifieront pas la coexistence au Viêt-nam.

Réplique des USA

C'est dans ce contexte que se situe la riposte américaine à l'offensive nord-vietnamienne. Hanoi a frappé au sud ; Washington va frapper au nord, en toute impunité, sans que les Russes et les Chinois ne bronchent. Le gouvernement de Pékin, cependant, avec l'intensité grandissante des bombardements près de sa frontière méridionale, protestera, le 12 juin, en soulignant en substance que sa sécurité se trouve menacée.