Journal de l'année Édition 1970 1970Éd. 1970

Après avoir frappé successivement à droite et à gauche, Sihanouk, inquiet de la présence et de l'activité croissantes des combattants vietcongs sur son territoire, avait été contraint de confier, en août 1969, la direction du gouvernement à un militaire connu pour sa haine du communisme, le général Lon Nol. Il mettait en place sans le savoir l'homme qui — profitant de son absence et sans doute avec l'aide de services secrets américains — allait prendre l'initiative du coup d'État.

Le 11 mars, plusieurs dizaines de milliers de manifestants saccagent à Phnom Penh les ambassades du Viêt-nam du Nord et du gouvernement révolutionnaire provisoire du Vietnam du Sud (vietcong). Manifestations spontanées ou quelque peu encouragées par le gouvernement khmer ?

De toute manière, c'est l'occasion que saisit Lon Nol pour renforcer les sentiments pro-occidentaux du Parlement. Tâche d'autant plus facile que Sihanouk lui-même avait réduit, sinon décapité, l'aile gauche du Sangkum (Communauté socialiste populaire), l'unique formation politique du Cambodge.

Une semaine après les manifestations anticommunistes, le chef du gouvernement obtient sans difficulté du Parlement la destitution du prince.

Mais le général Lon Nol par son coup d'État a mis — involontairement ? — le doigt dans l'engrenage de la guerre civile. Il a peut-être sous-estimé la popularité de Sihanouk. Celui-ci, qui s'est installé à Pékin, ne s'avoue pas battu. Le 23 mars, il annonce la création d'un gouvernement d'union nationale du FUNK (Front uni national du Kampuchea) et d'une armée de libération nationale. Paradoxalement, les Khmers rouges (procommunistes), ceux-là mêmes dont il avait dénoncé plusieurs fois les agissements, deviennent ses plus fidèles partisans, appuyés par les troupes vietcongs qui contrôlent une bonne partie de l'est du pays, le long de la frontière vietnamienne. La guerre du Cambodge commence, parallèle à la guerre du Viêt-nam, mais qui n'est pas encore une nouvelle guerre d'Indochine. Chaque jour, sinon chaque semaine, Lon Nol d'un côté, partisans de Sihanouk et procommunistes de l'autre, tentent d'exploiter la situation à leur bénéfice.

60 % d'armes chinoises

Dans sa déclaration du 30 juin R. Nixon a présenté un état du matériel saisi. En voici l'essentiel :
22 892 armes individuelles (de quoi armer 74 bataillons nord-vietnamiens) ;
14 762 167 cartouches ;
2 509 armes lourdes ;
45 283 roquettes ;
67 504 grenades et mines ;
40 t d'explosifs ;
55 t de matériel médical ;
7 000 t de riz ;
345 véhicules.

Selon des sources américaines, 60 % des armes étaient chinoises, 25 % soviétiques, le reste venant des pays de l'Europe de l'Est.

Massacres de Vietnamiens

Lon Nol, pour sa part, utilise les sentiments d'hostilité du peuple khmer à l'égard des Vietnamiens résidant au Cambodge. Ils constituent une minorité de quelque 500 000 personnes, particulièrement actives, notamment dans le commerce et l'artisanat. Dans un pays en guerre les minorités voient toujours peser sur elles la menace de devenir des boucs émissaires. C'est ce qui se produit au Cambodge, d'autant que, pendant des siècles, les Vietnamiens ont été les ennemis héréditaires des Khmers. Dès lors, il est facile pour les soldats cambodgiens de considérer les résidents vietnamiens comme complices (volontaires ou involontaires) des Vietcongs.

Le 10 avril, à Prasaut, près de la frontière vietnamienne, une centaine de Vietnamiens sont massacrés par des Cambodgiens. D'autres tueries suivent et, stupéfaits, les journalistes accrédités au Viêt-nam ou au Cambodge voient dériver sur le Mékong des centaines de cadavres (hommes, femmes et enfants) charriés par les eaux du fleuve. Des officiers cambodgiens expliquent qu'il s'agit de Vietcongs tués dans des combats, mais aucun engagement n'a été signalé dans la région. Quant à Lon Nol, il dénonce « l'expansionnisme séculaire des impérialistes vietnamiens » et lance un appel à ses concitoyens où il exalte un nationalisme quelque peu exacerbé : « L'heure est venue de sauver la patrie, la race et la religion », affirme-t-il.