Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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orgue (suite)

La tuyauterie d’un orgue correspond à un monde hétéroclite d’individus de toute structure, de toute taille, de toute forme, de toute matière et de tout timbre. Si l’on s’en tient à la structure, il y a deux types de tuyaux ; les uns dits à bouche, les autres dits à anche. Les tuyaux à bouche comportent deux lèvres et une pièce de plomb dénommée biseau, qui laisse filtrer l’air par une étroite fente, ou lumière. Le vent, butant contre le biseau, met en vibration le corps du tuyau. Dans les tuyaux à anche, le pied dissimule un noyau de plomb dont l’extrémité inférieure enserre une gouttière d’anche recouverte d’une languette vibrante, qui permettra à une rasette, ou tige de métal, d’accorder le tuyau. Pour désigner la taille des différents tuyaux, le facteur du xxe s. utilise toujours les mesures anciennes en pieds et en pouces. Un jeu de huit pieds est celui dont le tuyau le plus grave (ut1) mesure 2,64 m. Si l’extrémité supérieure de ce tuyau est fermée par une calotte, il sonne à l’octave inférieure. Chaque rangée de tuyaux est appelée jeu. La forme de ces tuyaux peut varier : cylindrique, conique, rectangulaire. La matière varie également : tuyaux en bois (sapin, chêne, acajou), en étain pur ou en étain mélangé de plomb (étoffe).

Quant à leur sonorité, les jeux se groupent sous trois rubriques : les fonds, les mutations, les anches. Les fonds (jeux à bouche) réunissent des montres, ou principaux ouverts, des bourdons, des flûtes. Les mutations renforcent des premiers harmoniques le son fondamental. Parmi ces jeux, on rencontre des mutations simples (nasard, larigot, tierce, donnant naissance au cornet de cinq rangs) et des mutations composées (superposition d’octaves et de quintes), qui groupent de deux à dix tuyaux ou plus par note et contribuent à la formation du plein-jeu de l’orgue, réunissant fournitures et cymbales. Les jeux d’anche comprennent essentiellement la famille des trompettes, dont les corps dessinent des cônes d’étoffe ou d’étain qui vont en s’évasant, celle des bassons et des hautbois, à côté desquels il faut faire une place à des jeux de solo comme les cromornes et les voix humaines.


Historique de l’instrument

L’instrument aurait été inventé, ou peut-être amélioré, par Ctésibios d’Alexandrie au iiie s. av. J.-C. Son orgue hydraulique était un instrument dans lequel l’air, emmagasiné sous la pression de l’eau, faisait parler une dizaine de tubes grossiers. Les deux corps de pompe d’un orgue hydraulique ont été troqués contre des soufflets de forge, rendant l’orgue pneumatique, et ce sans doute au iiie s. apr. J.-C.

Ce premier type d’orgue enrichissait les palais des empereurs d’Orient. Il apparaît en Occident au viie ou viiie s. et reçoit une tout autre utilisation dans les églises, les abbatiales ou les cathédrales.

On distingue alors : un orgue portatif, que l’on portait latéralement sur la hanche, dont on touche le très court clavier de la main droite, la main gauche actionnant un soufflet ; le positif, un peu plus important, que l’on posait sur un trépied ou une table et qui pouvait comporter déjà deux ou trois jeux répondant à un clavier plus étendu ; le grand orgue de tribune, qui ornait un jubé et qui était placé à mi-hauteur de l’église, au fond de la nef. Ce dernier instrument remplissait sans doute de ses accords harmonieux les grandes églises romanes et les sanctuaires de pèlerinage aux xiie et xiiie s.

Un deuxième clavier enrichit l’orgue à la fin du xive s. Dès le xve s., de grands foyers de facteurs d’orgues apparaissent dans les Pays-Bas, les Flandres, les pays germaniques et Scandinaves, la Bourgogne, l’Île-de-France, la Normandie, l’Italie, la Castille. Cet orgue du Moyen Âge ne paraît pas connaître le registre. Il semble correspondre à un plein-jeu collectif, le registre ne faisant son apparition qu’après la guerre de Cent Ans, à l’heure où l’on dote l’orgue d’un pédalier de quelques notes et où le clavier manuel passe de trente-six à quarante-deux touches.

C’est à la fin du xvie s. et dans le premier tiers du xviie que se constitue, tant aux Pays-Bas qu’en France, un orgue de conception classique, qui vaut par l’équilibre de ses plans, la diversité de ses timbres et qui va subsister tel jusque vers 1840. À côté du grand plein-jeu collectif, on a pu distinguer et isoler des registres de montre, des bourdons, des flûtes et bientôt des cornets, des hautbois et des trompettes.

Un troisième clavier (écho, récit) intervient (privé de ses 10 ou 20 notes de basses), qui, doté de jeux solistes, permettra de faire entendre, comme au théâtre, des monodies accompagnées.

Pour le facteur responsable de l’architecture des orgues classiques, il y a lieu de trouver un certain équilibre sonore entre les deux claviers principaux, grand-orgue et positif, entre le clavier de pédales et les claviers manuels, même si ces derniers se doublent d’un quatrième clavier, dit « de bombarde », alors que subsistent les demi-claviers de récit et d’écho, toujours destinés aux détails. Mais l’équilibre doit également s’entendre du simple point de vue sonore entre les trois types de registres évoqués ci-dessus : les principaux, doublés de bourdons, les mutations simples et composées et les anches.

De père en fils, de grandes familles d’organiers se transmettent les secrets d’une telle construction, et le fruit de leur labeur permet l’éclosion, tant en France qu’en Italie, qu’en Espagne et que dans les pays alémaniques, d’une illustre littérature.

Vers 1820-1840, à cet orgue classique succède un orgue romantique doté d’un clavier de récit expressif ; de cet orgue, dont la composition évoque la transformation du goût musical et qui se rapproche de l’orchestre, Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) sera le génial artisan. Celui-ci améliore l’alimentation de l’instrument et sa mécanique ; il donne plus d’éclat aux anches, au détriment des mixtures, multiplie les jeux de fonds et les enrichit de diapasons, de gambes, de salicionaux, de flûtes harmoniques. Le récit expressif prend de plus en plus d’importance. L’étendue des claviers est portée à soixante et une notes au xxe s., et certaines combinaisons permettent de préparer à l’avance plusieurs jeux, notamment les anches, que l’on appelle au moment voulu par le simple abaissement d’une pédale. Cet orgue romantique l’emporte dans toute l’Europe de 1840 à 1920. Il vient surtout servir une littérature de concert.