Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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ordres (suite)

À l’image du corps humain, qui peut s’étendre dans un cercle ou un carré et dont les membres sont en relations dimensionnelles, la demeure des dieux sera équilibrée (c’est le sens du mot symétrie), proportionnée, à partir non pas d’une mesure fixe, mais d’une division de l’ensemble, qui sera le module (demi-diamètre de la colonne à la base du fût). Si la méthode modulaire leur est antérieure, le mérite des Grecs est d’avoir su en tirer toutes les conséquences logiques. Chaque élément de la colonne, de l’entablement est soigneusement différencié ; toute une modénature, parfois sculptée ou peinte, accroche la lumière, établit des contrastes colorés, anime les volumes par la dominance des courbes, les tempère par des corrections optiques permettant aux lignes de garder leur vigueur. À l’extrême, la colonne peut se dérouler sur un mur, un pilier, une baie, voire un édifice entier.

Sans aborder une évolution complexe, notons quelques faits essentiels. L’échiné globuleuse du chapiteau dorique reposait sur le fût au vie s. (par exemple à Paestum) ; aux temps classiques, le fût semble se prolonger en une courbe nerveuse dans cette échine, à la pureté froide de pièce tournée qui permet un emploi général. La frontalité du chapiteau ionique, par contre, interdit d’en faire usage en position angulaire sans une distorsion selon la bissectrice. L’idée conduit logiquement à disposer les volutes selon les diagonales. Ce sera, en attendant l’ionique à quatre faces, le cas du corinthien, avec sa corbeille plus élancée et revêtue d’un décor d’applique qui assure le passage progressif du fût circulaire à une ligne d’entablement droite, courbe ou en retour d’angle. La position biaise des volutes est soulignée par la concavité des faces de l’abaque ; et ce détail est de toute importance, car il va permettre de suggérer une continuité d’espaces imaginaires à partir du volume solide (à Athènes, dès 334 av. J.-C., le monument de Lysicrate nous en offre un précieux exemple).


L’organisme, des Romains à nos jours

Quand les Romains vont avoir à traiter les vastes programmes impériaux, aidés par la souplesse des structures de brique, ils étendront la notion d’organisme, héritée de la plastique grecque, à l’ensemble des espaces enclos. On aboutit alors à des tracés dynamiques, ondulants à la villa Hadriana de Tibur au iie s., « cannelés » à la rotonde de Baalbek au iiie s. ; en dépit d’un aspect baroque, ces tracés ont leur source dans le classicisme le plus strict. On pourrait juger superflues les ordonnances qui recouvraient thermes et palais : mais ce serait oublier le rôle porteur de ce « vêtement », au moins durant la construction.

Le procédé, d’ailleurs, persiste au Moyen Âge, où colonnes engagées et colonnettes servent de soutien pour la pose des arcs, avant d’épauler et d’habiller visuellement le noyau de blocage. La colonne isolée fait l’objet d’intéressantes recherches, comme le rond-point des sanctuaires ; mais l’arc, avec ses nervures, finit par descendre jusqu’au sol. Au gothique final, la continuité du végétal se substitue au modèle vertébré, et le tracé au compas l’emporte sur la division modulaire.

La réaction vient d’Italie, où les humanistes commentent le texte de Vitruve à la lumière des ruines. La notion d’ordres apparaît chez Alberti*, Serlio*, Vignole* ; et le risque est grand, face à la diffusion des modèles, de tomber dans le formalisme. Si les théoriciens établissent des règles, ils en usent avec liberté ; on voit apparaître — ou reparaître — chapiteaux figurés, éléments « rustiques », fûts écotés, torses, annelés, et Delorme* propose même un « ordre français ». Lescot* et ses continuateurs devront mettre un frein à cette vivacité : l’ordre, désormais, vient du trône et non plus des dieux. À vrai dire, jamais une architecture de pierre n’a été mieux comprise, et la raison classique des Mansart*, Perrault* et de Cotte* va triompher dans les colonnades comme dans le modelé des hôtels.

Cependant, l’esprit missionnaire ne pouvait apprécier la sérénité sans chaleur de la Renaissance ; un Borromini*, un Guarini* mettent le dynamisme des espaces romains ou gothiques au service de la foi. Quand celle-ci tiédit, l’insolite et l’excessif l’emportent. La raison plaide alors le retour à une pureté formelle, dont Palladio*, le dernier des renaissants, lui offre un modèle accessible ; ensuite prend place la redécouverte de l’Antiquité en Campanie et en Grèce, et Gabriel* fait place à Claude Nicolas Ledoux (v. visionnaire [architecture]).

Au xixe s., les programmes issus des bouleversements sociaux et les matériaux nouveaux demandent une révision totale de la pensée architecturale. En fait, l’éclectisme triomphe ; certains se réfugient dans l’application des ordres (quitte à abandonner le compas de proportion pour le décimètre), alors que d’autres, avec Viollet-le-Duc*, retrouvent la leçon organique du Moyen Âge ou tentent une synthèse dans l’« Art nouveau ».

Après la fonte de fer, le ciment armé a d’abord été moulé à l’imitation des ordres classiques ; démarche passéiste sans doute, mais qui, si l’on en croit une enquête récente, assure une meilleure résistance des constructions aux intempéries. A. Perret* l’avait bien compris quand il utilisait une corniche-chéneau très saillante, pas plus « académique » après tout que ne saurait l’être son « portique souverain », conséquence logique de l’emploi du poteau-poutre en béton armé.

L’ordre, conçu pour la pierre, était composé d’éléments ; mais sa référence à l’être vivant implique aussi la continuité offerte désormais par la préfabrication*. Cela peut devenir la matière d’une synthèse, comme le passé nous en offre des exemples.

H. P.

➙ Architecture / Construction.

 A. Choisy, Histoire de l’architecture (Gauthier-Villars, 1899, 2 vol. ; rééd., Vincent-Fréal, 1954). / F. Benoit, l’Architecture, Antiquité, Orient, Occident médiéval (H. Laurens, 1911-1934 ; 3 vol.). / D. M. Robinson, Baalbek, Palmyra (New York, 1946). / H. Kähler, Hadrian und seine Villa bei Tivoli (Berlin, 1950). / R. Martin, Manuel d’architecture grecque (Picard, 1965).