Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Nigeria (suite)

Le complexe de base du Précambrien affleure largement et donne des paysages caractéristiques de plaines aux molles ondulations, dominées par des inselbergs et parcourues par le réseau hydrographique en amples vallées alluviales. Si la couverture sédimentaire n’a pas atteint un stade avancé de planation, les formes caractéristiques de ses paysages (buttes, côtes) manquent de vigueur. Deux ensembles peuvent être distingués de part et d’autre des deux branches du Y que dessinent les vallées du Niger et de la Bénoué avant leur confluence : au sud les « basses terres » (moins de 500 m) et au nord les « hautes terres » (plus de 500 m), au sein desquelles une différenciation s’opère en fonction des données de la structure. Les basses terres juxtaposent trois régions naturelles.

La région côtière, large de 70 km, est isolée de la mer par un cordon littoral, qui limite une série de lagunes ; le delta du Niger, région marécageuse de 25 000 km2 que la mangrove contribue à fixer, gagne progressivement sur la mer. Les plateaux cristallins du Sud-Ouest sont accidentés de vallons aux versants convexes et de reliefs résiduels, comme ceux qui dominent Ibadan. Le Sud-Est est un pays de collines dans les sables éocènes, au milieu desquels se dégagent des formes structurales, comme la côte crétacée d’Enugu.

Au nord du Niger et de la Bénoué, le tracé du réseau hydrographique reflète la dissymétrie du socle. Le plateau de Jos, centre de dispersion des eaux, a une altitude moyenne de 1 200 à 1300 m et est entouré à l’ouest et au sud d’un escarpement de 600 m de commandement. Au nord, il se raccorde, sans accident notable, avec les hautes plaines du pays haoussa et du Bauchi (Baoutchi), que jouxtent les plaines de Sokoto à l’ouest et la région du lac Tchad, inscrites dans un matériel sédimentaire.

Le climat supplée aux accidents du relief pour différencier des paysages. Les quantités de pluies décroissent vers le nord et le nord-est — de 3 500 mm sur le littoral à 375 mm au lac Tchad —, et l’on distingue une région septentrionale recevant moins de 1 000 mm, une région centrale recevant de 1 000 à 1 500 mm et une région méridionale recevant plus de 1 500 mm. Plus importante que le total annuel est la distribution à travers l’année, qui dépend du déplacement du front intertropical. Au sud du plateau de Jos prévaut un régime équatorial à deux maximums, et l’intervalle entre ceux-ci va diminuant, jusqu’à ce qu’un seul maximum soit observable dans le régime tropical à longue saison sèche au nord du 11e parallèle. L’influence des pluies sur les températures (pratiquement jamais inférieures à 20 °C) se traduit par des fluctuations d’autant plus faibles que le littoral est plus proche. L’étirement latitudinal du Nigeria lui permet de réaliser tous les types climatiques intertropicaux, à l’exception du type aride, et ces transitions pluviothermiques se répercutent dans un cadre botanique.

La forêt ombrophile est la végétation naturelle des régions méridionales, où le total annuel excède 1 500 mm, mais elle ne subsiste à l’état de formation primaire qu’en lambeaux isolés dans le Bénin, le delta et la région de Calabar. Elle a été généralement éclaircie et « secondarisée ». La région centrale coïncide plus ou moins avec une aire de savanes boisées ou de forêts claires. Dans la zone soudanienne, la savane est plus ouverte, sans être dépourvue d’arbres, qui se groupent en boqueteaux (savane-parc) ou sont isolés (savane arborée à baobabs, à acacias, etc.). Dans l’extrême Nord-Est triomphe une formation sahélienne à buissons épineux, de type bush.

La disposition zonale des paysages végétaux s’accompagne d’une répartition de la population en bandes ; mais, alors que l’humidité et l’intensité végétale croissent de l’intérieur vers le littoral, au plan humain se dessinent deux bandes de peuplement relativement dense, que sépare un creux démographique.

À côté des densités médiocres du Bornou, le pays haoussa est un îlot très peuplé au sein d’un chapelet qui court à travers l’Afrique occidentale depuis le cap Vert. La bande méridionale juxtapose deux noyaux de densité élevée, le pays ibo à l’est et le pays yorouba à l’ouest, que séparent les solitudes relatives du Bénin et du delta.

Cette irrégularité dans la répartition de la population ne saurait s’expliquer par quelque déterminisme physique : les plages de forte densité que met en évidence la carte du peuplement correspondent à des aires de civilisation homogène qui sous-tendent une régionalisation.


Des régions ethniques

Par-delà les multiples clivages (raciaux, linguistiques, religieux, etc.), c’est la bigarrure ethnique qui suscite les oppositions les plus irréductibles. Le Nigeria réunit deux cents groupes, mais trois groupes principaux, concentrant les deux tiers de la population, émergent : les Haoussas* et Peuls*, les Yoroubas* et les Ibos*, dont les personnalités, affermies pendant la période coloniale, portaient en elles les germes d’un affrontement probable lors de l’indépendance. Une polarisation autour de ces centres de gravité ethniques détermine trois régions traditionnelles, que les facteurs modernes (divisions administratives coloniales, vie urbaine), impuissants à effacer le poids de l’histoire, ont renforcées.

Peuls et Haoussas, indissociablement mêlés par leur foi musulmane, sont les héritiers de l’empire d’Ousmane dan Fodio, qui, au début du xixe s., imposa une aristocratie peule à la tête des États urbains haoussas, dont la prospérité reposait sur le commerce transsaharien. Les émirats peuls, successeurs des républiques haoussas, ont apporté une stabilité propice à une emprise sur les terroirs péri-urbains (Sokoto, Katsina, Kano, etc.), qui, cultivés en permanence, portent des densités élevées : 150, voire autour de 200 habitants au kilomètre carré. Derrière des murs d’enceinte, des cités véritables renferment des quartiers spécialisés, un marché, le palais de l’émir et la mosquée. L’islām, « stimulant cyclique des sociétés soudanaises » (J. Richard-Molard), a permis, dans l’orbite des États très organisés du Nigeria septentrional, de modeler la vie politique des savanes et de soustraire celles-ci à l’instabilité traditionnelle des cultures itinérantes, inaptes à créer de fortes densités. Mais les conséquences de l’islām ont été autrement plus néfastes dans l’atmosphère belliqueuse du djihād mené par la cavalerie peule jusqu’à l’orée de la forêt ombrophile, obstacle biologique à son expansion. La conquête du Middle Belt a mis en place, dans le cadre des émirats de Noupé (ou Nupe), d’Ilorin, de Bauchi, une aristocratie pastorale dominant des castes de cultivateurs ; cette nouvelle hiérarchisation de la société s’est traduite par un développement de l’élevage aux dépens des cultures, par une diminution de la densité du peuplement et de l’intensité de l’exploitation. Le résultat se lit sur la carte de répartition de la population, mais, au sein du « désert », des noyaux de peuplement de résistance correspondent à des reliefs où des peuples harcelés ont trouvé refuge, tels les « païens » du plateau de Jos. Des sociétés fortes ont également pu être préservées en plaine.