Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arabie (suite)

L’Empire arabe

Ses successeurs, les califes « inspirés », utilisent admirablement cet instrument pour porter l’islām à l’extérieur de la péninsule arabique, et constituer par la même occasion un immense empire. Animés d’une foi nouvelle qui leur promet le paradis, les Arabes déferlent, à partir de leurs territoires désertiques, sur des espaces verts et arrosés longtemps convoités, et s’emparent en quelques années de plusieurs pays.

C’est le premier calife, Abū Bakr (632-634), qui inaugure les expéditions contre les empires perse et byzantin. Mais c’est sous le califat d’‘Umar (634-644) que les victoires décisives sont remportées. En 636, la défaite des Byzantins sur les rives du Yarmouk assure aux Arabes le contrôle de la Syrie et de la Palestine. En 640-642, l’Égypte est à son tour enlevée aux Byzantins. Quelques années auparavant, en 637, les Arabes avaient battu les Perses à Qādisiyya et avaient pris leur capitale, Ctésiphon. Ils occupent ensuite la Mésopotamie, alors province persane. En moins de dix ans, les Arabes sont donc venus à bout de deux empires. Leurs victoires ont été, il est vrai, favorisées par la décadence des Byzantins et des Sassanides, affaiblis par de longues guerres antérieures et par le mécontentement des populations syrienne, égyptienne et iraqienne à l’égard des gouvernements grec et persan.

Sous le troisième calife, ‘Uthmān (644-656), son cousin Mu‘āwiyya, gouverneur de Damas, construit une puissante flotte dans les chantiers de Tyr et de Sidon. Les marins arabes s’attaquent aux principales îles de la mer Égée : Chypre, la Crète et Rhodes, points de départ d’expéditions contre Byzance.

Le califat d’‘Alī (656-661) est marqué par des troubles et des luttes de factions qui ne favorisent aucune expansion. Celle-ci reprend avec Mu‘āwiyya (661-680), qui réussit, à la suite de l’assassinat d’‘Alī, à s’emparer du pouvoir et à fonder la dynastie omeyyade. Sous son règne, l’islām s’étend progressivement en Asie centrale et en Afrique du Nord. La fondation de Kairouan en 670 marque la prépondérance des Arabes en Ifrīqiya. Mais, à la mort de Mu‘āwiyya, l’islām connaît une deuxième guerre civile, marquée principalement par la lutte entre ‘Alides* et Omeyyades*, et son expansion est de nouveau arrêtée. Les conquêtes reprennent au début du viiie s., sous le règne d’al-Walīd Ier (705-715) : Boukhara et Samarkand sont occupées, de même que la province indienne du Sind. En 711, le débarquement des troupes arabes en Espagne inaugure l’expansion de l’islām en Europe. Très vite, une bonne partie de la péninsule Ibérique passe sous le contrôle des Arabes. À partir de l’Espagne, ils attaquent le sud de la France et s’emparent de certaines villes, telles que Narbonne en 719 et Avignon en 735. Mais leur défaite à Poitiers, en 732, marque le déclin de l’expansion de l’islām.


L’éclipse de l’Arabie

Depuis l’avènement des Omeyyades, l’Arabie n’est plus au centre de la vie politique. Le siège de l’Empire s’est transporté à Damas, les villes saintes devenant des lieux de plaisir. Craignant les ambitions d’une aristocratie arabe qui tient prestige et richesse de sa participation à la guerre, les Omeyyades la laissent, pour l’écarter de la vie politique, se livrer librement à toutes les débauches. Mais si la péninsule n’est plus le cœur de l’Empire, celui-ci reste dirigé par les Arabes. Les califes s’appuient sur certaines tribus arabes, dont ils exploitent au besoin les vieilles querelles. Au surplus, les Omeyyades sont jaloux des traditions culturelles arabes (poésie antéislamique), qui restent vivaces en dépit des influences helléniques.

À partir de 750, le rôle des Arabes dans la vie politique commence à s’éclipser. Les ‘Abbāssides* s’appuient, pour gouverner l’Empire, essentiellement sur des Persans. Un siècle plus tard, les califes perdent toute autorité au profit des commandants de leur propre armée et de leurs gardes, le plus souvent des mamelouks turcs.


Déclin et isolement de l’Arabie

Écartée de la vie politique, l’Arabie commence, dès le xe s., à se replier sur elle-même. Après avoir conquis un immense empire, transporté sa langue et sa religion jusqu’en Europe et contribué à la naissance et au développement d’une grande civilisation, la péninsule revient à son isolement et à ses traditions antéislamiques. Les vieilles querelles entre les tribus se réveillent, l’anarchie retrouve droit de cité dans ces immenses déserts.

Source de misère et de difficultés pour la population, le désert est aussi une garantie de son indépendance. Il constitue un barrage contre toute invasion de la péninsule arabique. À la fin du xiie s., les Francs connaissent, dans leur tentative de s’emparer de Médine, le même sort que les Romains au Yémen en 25-24 av. J.-C.

L’Arabie reste à l’écart des invasions seldjoukides et mongoles. Au milieu du xvie s., les Turcs Ottomans essaient de s’emparer des villes saintes pour affermir leur autorité sur le monde musulman : leurs soldats périssent dans le désert.

À la suite de ce désastre, les Turcs renoncent à la conquête de la péninsule et se contentent d’une souveraineté nominale. L’Arabie centrale reste indépendante, ses tribus continuant à vivre comme avant l’islām. Leur seul contact avec l’extérieur réside dans les pèlerinages, aux cours desquels affluent vers les villes saintes des croyants de tout le monde musulman. Cependant, le pays reste à l’écart de l’évolution de l’humanité et semble frappé de léthargie.


Le wahhābisme et l’unité de l’Arabie sous les Saoudites

Un homme est venu alors tirer l’Arabie de sa torpeur. Il ne s’agit plus cette fois d’un prophète, mais d’un simple réformateur qui préconise la restauration de l’islām dans son antique pureté et l’observance rigoureuse des règles du Coran. Cet homme est Muḥammad ibn ‘Abd al-Wahhāb (1703-1792) ; il se propose de regrouper les tribus au nom d’un idéal religieux pour les dégager de leur anarchie et rendre au peuple arabe son unité perdue. En 1745, ‘Abd al-Wahhāb gagne à ses idées un chef de Bédouins nadjdis, Muḥammad ibn Sa‘ūd. Les deux hommes conjuguent leurs efforts pour rallier les tribus de l’Arabie centrale, conquérir le Nadjd et étendre la réforme au reste de l’Arabie. L’entreprise se solde par un succès. À sa mort, en 1765, Muḥammad ibn Sa‘ūd laisse un pouvoir affermi à son fils ‘Abd al-‘Azīz (1765-1803), qui achève la conquête du Nadjd et se fait proclamer roi de ce pays. En 1803, Sa‘ūd succède à ‘Abd al-‘Azīz. Émir du Nadjd et imām des Wahhābites, il poursuit la conquête de l’Arabie, occupe bientôt le Hedjaz, se rend maître des villes saintes, détruit les tombeaux des saints et restaure la Ka‘ba dans sa simplicité primitive (1804). En 1808, Sa‘ūd le Grand achève la conquête de la péninsule, outre le Nadjd, il contrôle alors le Hedjaz, l’‘Asīr, le Yémen, l’Hadramaout, Ḥasā, Bahreïn et même Bassora. Il vise l’occupation de la Syrie et de l’Iraq, alors possessions turques, et peut-être même l’unité, sous son égide, de tous les pays arabes. En 1811, il accepte une alliance avec Napoléon Ier contre les Turcs. Mais le déclin de l’Empereur permet aux Turcs de consacrer le gros de leurs forces à la répression de la « révolte arabe ».