Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Napoléon Ier (suite)

Jeune officier à Auxonne en 1788, où, dit-il, « il n’a d’autre ressource que de travailler », Bonaparte connaît les tendances des tacticiens philosophes du xviiie s. ; il pâlit sur les campagnes de Turenne, étudie avec passion l’artillerie, le tir, les matériels, les écrits de M. de Gribeauval, écoute ses maîtres et en particulier son chef, le général baron Jean-Philippe Du Teil (1722-1794), qui commande l’école d’Auxonne et dont le frère cadet, le chevalier Jean Du Teil (1738-1820), donne dans son ouvrage quelques préceptes de la doctrine napoléonienne. En 1791 et 1792, il complète et mûrit sa pensée ; à vingt-deux ans, les événements de Corse ont fait de lui un homme d’action. L’étude de Lloyd (1720-1783), de Pierre de Bourcet (1700-1780), la méditation de l’Essai de tactique générale de François Apollini, comte de Guibert (1744-1790), de la vie de Frédéric II, des campagnes anciennes l’amènent à peser les théories de ses prédécesseurs. Les armes et leur mode d’emploi lui sont imposés, mais peu à peu se forme l’idée qu’il aura de la manœuvre et du combat ; elle se fixe dans son esprit non comme une théorie abstraite, mais sous forme d’images qu’il conservera jusqu’à sa mort. Ainsi s’établit son système : « Toute opération doit être faite par un système, dit-il, parce que le hasard ne fait rien réussir. »

L’histoire de son génie est celle de sa doctrine, qu’il sait adapter aux circonstances grâce à ses qualités morales et intellectuelles exceptionnelles, l’imagination en particulier.

Napoléon a surgi à une époque critique de l’art de la guerre ; les tacticiens avaient préparé une révolution importante ; il l’a réalisée avec des procédés nouveaux portés à un si haut degré de perfection qu’il n’a pas toujours été compris. Ses solutions, solides et élégantes, ne peuvent être comparées aux procédés d’un Moltke. Le maréchal Foch rappelle dans sa Conduite de la guerre et ses Mémoires que la doctrine napoléonienne est toujours valable parce que « toute guerre bien conduite est une guerre méthodique ».

Cherchant à caractériser cette doctrine, Foch, dans l’éloge qu’il prononça de l’Empereur en 1921 pour le centenaire de sa mort, met d’abord en relief son souci constant de rechercher systématiquement l’initiative et de « prendre la direction des événements au lieu de les attendre et de les subir », d’où l’importance qu’attache Napoléon à choisir l’objectif stratégiquement décisif, celui dont dépend le sort de la guerre. Aucune règle, que son intuition et la précision des renseignements qu’il possède, ne préside à son choix. Celui-ci arrêté, « Bonaparte a toujours marché droit au but sans se préoccuper en rien du plan stratégique de l’ennemi » (Clausewitz). Sur ce but, il applique tous ses moyens pour obtenir la bataille dans laquelle il s’efforce, par une combinaison constamment raisonnée de la défensive et de l’offensive, d’attaquer du fort au faible. « La victoire, dit-il, est le triomphe du grand nombre sur le petit. » Mais si son art est simple, il est tout d’exécution, et à cette exécution il consacre tous ses soins : « Ce n’est pas un génie qui me révèle tout à coup en secret ce que j’ai à dire ou à faire [...], c’est la réflexion, la méditation. »

L’Empereur est demeuré l’idéal de quatre générations de militaires et a dominé son siècle, mais, à de nouveaux problèmes, il faut maintenant trouver des hommes nouveaux. À ceux-ci il a laissé l’exemple de sa vie militaire : infatigable travailleur, il prend pour devise « Tout pour le peuple français », organise l’armée misérable et indisciplinée de la Révolution, voit tout en détail sans jamais perdre de vue l’ensemble parce que, dit-il, « l’œil du chef doit remédier à tout et qu’une armée n’est rien que par la tête ». Il la conduit vers les grandes actions avec des qualités de conducteur d’hommes jamais égalées ; il paie de sa personne, vit de la vie du soldat, s’intéresse à lui, sait lui parler. Le « petit caporal », c’est un ami, le « tondu », un père avec lequel tout est possible et sur un signe duquel on se fait tuer. Aucun chef n’a tant exigé du soldat, ne l’a tant aimé et n’en a autant été aimé.

H. L.


Le fondateur de la France et de l’Europe modernes (1800-1811)

Qui veut connaître le Premier consul (v. Consulat) et le monarque des premières années de l’Empire (v. Empire [premier]) doit se reporter au portrait qu’en fit Gros lors de la campagne d’Italie : l’artiste a su mieux qu’aucun autre pénétrer la psychologie intime de l’homme. La taille médiocre et la relative chétivité de l’être s’effacent, seul apparaît le visage que les yeux fixes et attentifs à l’interlocuteur dévorent et où par la ligne brève et serrée des lèvres transparaît la volonté dominatrice.

Cette ambition, qui, selon ses propos, est si intimement liée à son être qu’elle n’en peut être distinguée, est servie par plusieurs qualités, et d’abord celle de savoir écouter. L’empereur autoritaire qu’il devint fait trop souvent oublier les premières qualités de l’apprenti homme d’État. Longtemps, avant que l’exercice du pouvoir ne le gâte, Bonaparte conservera cette vertu de vouloir et de savoir s’informer avant de prendre une décision. Sa table de travail est pleine des rapports des préfets, des inspecteurs généraux de l’armée ou des régents de la Banque de France, dont il suscite les notes. Il lit, classe, retient tout. Mais, plus encore, il aime le contact personnel avec les êtres. Au Conseil d’État, il pousse les uns et les autres à s’affronter, relance par de brèves interventions le débat et, quand bien même il semble trancher, il accepte d’écouter encore de nouvelles propositions. Connaît-il mal un problème ? Il convoque l’un des meilleurs techniciens, cache son ignorance sous un flux de questions, masque son embarras derrière une colère, tourne autour de son visiteur et finit par lui arracher sans que l’autre s’en doute la leçon qu’il en attendait. Les dialogues qu’il a avec Mollien, ministre du Trésor public, et que celui-ci rapporte dans ses Mémoires, sont à ce sujet révélateurs de l’éducation qu’il se donne dans les matières économiques et financières que jusqu’ici il ignorait. Cette capacité qu’il a de nourrir sa réflexion et d’exercer son intelligence soutenue par une prodigieuse mémoire frappe tous les contemporains.

Ainsi, il comprend très vite quelles sont les bornes entre lesquelles peut s’inscrire son action. Une phrase échangée avec Miot de Mélito révèle cette prise de conscience : « Nous avons fini le roman de la Révolution ; il faut en commencer l’histoire et voir ce qu’il y a de réel et de possible dans l’application des principes. »