Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Montale (Eugenio)

Poète italien (Gênes 1896).


Si l’œuvre poétique de Montale a été lente à s’affirmer, élaborée au rythme parcimonieux d’un recueil tous les quinze ans à partir de 1925, son influence n’a cessé de grandir et d’infléchir l’évolution de la poésie italienne depuis la Seconde Guerre mondiale.

Née du refus de la rhétorique annunzienne et de la rhétorique fasciste, la poésie de Montale se définit dès l’abord comme une poésie de la réticence : « N’exige pas de nous la formule qui puisse t’ouvrir des mondes, / plutôt quelque syllabe torte et sèche comme une branche. / Ceci seul aujourd’hui pouvons-nous te dire : / Ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons pas », écrit-il dans son premier recueil, Ossi di seppia (1925).

Réticence qui se fera plus tard « résistance poétique » au fascisme (cf. le troisième recueil, La Bufera e altro, 1956), Montale récusant pour la poésie tout engagement qui ne soit proprement poétique, ce qui ne l’empêchera pas de payer de sa personne dans la lutte contre le régime mussolinien : signataire du Manifeste des intellectuels antifascistes lancé par Benedetto Croce*, il sera déchu en 1939, pour ses opinions politiques, du poste de directeur qu’il occupait depuis 1929 au cabinet scientifique-littéraire G. P. Vieusseux de Florence.

Bien qu’il ait toujours refusé la notion d’école et revendiqué la solitude de sa création, sa poétique de la réticence suscita bientôt un important mouvement de jeunes écrivains et critiques réunis à Florence — où Montale séjourna de 1927 à 1947 — sous le signe de ce qu’on a appelé l’hermétisme. Hermétique, la poésie de Montale l’est par l’ascèse de sa recherche verbale, la rareté de son lexique et de ses rythmes, la subtilité de ses références littéraires, par son épaisseur symbolique, ses ellipses et ses dissonances. On ne saurait, cependant, imaginer inspiration plus concrète et plus quotidienne que celle de Montale, nourrie de ces menues Occasions (Le Occasioni, 1939), qui fournissent le titre de son second recueil. Mais, avec un goût et un art de la concision qui vont s’accentuant d’Ossi di seppia aux Occasioni, Montale transfigure les objets, les êtres et les animaux (génies familiers ponctuant de leur présence ou de leur apparition sa vie quotidienne et ses voyages) en autant de signes et d’emblèmes composant une mythologie intime et un bestiaire héraldique qu’il est le seul à pouvoir déchiffrer, et ce, du moins, jusqu’à la publication des admirables poèmes en prose de La Farfalla di Dinard (1956), fragments d’autobiographie qui livrent au lecteur les clefs de sa création poétique, les « occasions » des Occasions. On y découvre également tout un art de vivre montalien, fait de stoïcisme et d’humour, non sans une savoureuse pointe de snobisme, que l’on retrouve dans Fuori di casa (1969), recueil d’articles, comme La Farfalla di Dinard, publiés dans le quotidien milanais Il Corriere della Sera.

Le snobisme de Montale est avant tout recours contre le mal de vivre que tentaient d’exorciser ses premiers poèmes, et l’écrivain se complaît dans l’ostentation masochiste d’une vie non poétique. Son existence rangée ne prête guère en effet au roman ou à la légende et sacrifie volontiers au confort bourgeois. Cinquième enfant d’une famille de commerçants génois, Montale gardera surtout de son enfance et de son adolescence le souvenir enchanteur des vacances passées dans la propriété familiale de Monterosso al Mare, petit port des « Cinque Terre ». Après des études de chant interrompues par la Première Guerre mondiale et des débuts dans le journalisme littéraire, il trouve en 1927 un modeste emploi chez l’éditeur florentin Bemporad, qu’il quittera en 1929 pour diriger le cabinet Vieusseux. À partir de 1939, il vit de traductions et devient en 1948 rédacteur au Corriere della Sera. En 1966, l’inondation de l’Arno détruit la plupart de ses livres et de ses manuscrits, qu’il avait laissés à Florence dans l’espoir de s’y retirer auprès de la tombe de sa femme, morte, en 1963. Il est nommé sénateur à vie en 1967.

Les premiers poèmes (« Xenia ») de son dernier recueil poétique (Satura, 1971) naissent précisément (en 1964) d’un colloque à mi-voix avec l’aimée disparue. Le reste du recueil innove par une préciosité enjouée jusqu’au pastiche, alliée à une thématique agressivement « up to date », brassant pêle-mêle les objets, les mythes et les événements de la civilisation néo-capitaliste.

On ne saurait, enfin, passer sous silence, pour son ampleur et sa qualité, l’œuvre de Montale traducteur, rassemblée en partie dans Quaderno di traduzioni (1948). Quant au Montale critique, dont le recueil Auto da fé (1966) donne un large aperçu, son plus grand mérite demeure peut-être celui d’avoir découvert et lancé Italo Svevo* dans deux mémorables articles de 1926. (Prix Nobel, 1975.)

J.-M. G.

 E. Bonora, La Poesia di Montale dalle « Occasioni » alla « Bufera » (Turin, 1963). / D. S. Avalle, Gli « orecchini » di Montale (Milan, 1965). / S. Ramat, Montale (Florence, 1965 ; 2e éd., 1968). / L. Rosiello, Struttura, uso e funzioni della lingua (Florence, 1965). / A. Jacomuzzi, Sulla poesia di Montale (Bologne, 1968). / G. Manacorda, Montale (Florence, 1969). / G. Nascimbeni, Montale (Milan, 1969).

Montalembert (Charles Forbes, comte de)

Homme politique français (Londres 1810 - Paris 1870).


Fils de Pierre-Marc de Montalembert (1777-1831), officier émigré qui sera ambassadeur sous la Restauration, et d’une Écossaise anglicane qui abjurera en 1822, Charles fait de bonnes études à Sainte-Barbe. En octobre 1830, il s’enthousiasme pour les idées de l’Avenir, le journal que vient de lancer La Mennais*, et devient le lieutenant de ce dernier, aux côtés de Lacordaire*, bataillant avec lui contre la monarchie bourgeoise et en faveur des quatre libertés fondamentales : liberté de conscience et de religion, liberté de presse, liberté d’association, liberté d’enseignement. En même temps, membre de l’Agence générale pour la défense de la liberté religieuse, il parcourt, sans grand succès d’ailleurs, les diocèses du Midi. En mai 1831, non autorisé, il ouvre une école gratuite : la mort de son père, l’investissant de la pairie, le rend justiciable de la Cour des pairs, circonstance qui donne à son procès (19 sept. 1831) un relief considérable ; Montalembert s’y révèle orateur de classe. Au demeurant, il bénéficie d’un non-lieu.

Quoique brisé par l’attitude de Grégoire XVI, il ne suit pas La Mennais dans sa révolte contre Rome ; le 8 décembre 1834, il se soumet officiellement. Après une année de solitude douloureuse, il se retrouve à Paris auprès des chefs du catholicisme libéral (H. Lacordaire, dom P. Guéranger) et social (F. Ozanam) ; il épouse en 1836 Anne de Mérode.