Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Milan (suite)

 C. Romussi, Il Duomo di Milano (Milan, 1906). / G. Clausse, les Sforza et les arts en Milanais, 1450-1550 (Leroux, 1909). / E. Bissi, Guide artistique illustré de Milan (Milan, 1958). / A. Ottino della Chiesa, Brera (Novare, 1958). / R. Aloi, Nuove Architetture a Milano (Milan, 1959). / E. Arslan, Le Pitture del Duomo di Milano (Milan, 1960). / E. Possenti, Addio vecchia Milano, Buondi, Milano nuova (Milan, 1962). / A. M. Romanini, L’architettura gotica in Lombardia (Milan, 1964). / C. Perogalli et G. C. Bascape, Ville Milanesi (Milan, 1965). / F. Reggiori, La Basilica di Sant’Ambrogio (Milan, 1966).

Milhaud (Darius)

Compositeur français (Marseille 1892 - Genève 1974).


D’une très ancienne famille d’israélites comtadins, il s’est défini « Français de Provence et de religion israélite », son inspiration sera constamment placée sous le signe de cette double appartenance. Précocement doué pour la musique, il put s’y consacrer de bonne heure grâce à la compréhension de ses parents. Au cours de ses études au Conservatoire de Paris, marquées par divers conflits avec ses maîtres, car son goût de la polytonalité s’affirmait déjà, il se lia d’amitié avec Arthur Honegger*, qui fréquentait comme lui la classe d’André Gédalge. Mais il travailla également avec Charles Widor et Vincent d’Indy*. Il aborda dès l’âge de dix-huit ans les entreprises de grande envergure et se lia d’amitié avec Francis Jammes et Paul Claudel*. Le premier lui inspira de nombreuses mélodies et son premier opéra, la Brebis égarée (1910-1915), tandis que de sa collaboration avec le second, inaugurée dès 1913, allaient naître quelques-unes de ses œuvres les plus considérables : l’Orestie (1913-1922), l’Homme et son désir (1918), Protée (1919), Christophe Colomb (1928), la Sagesse (1935), diverses cantates, et jusqu’à la Symphonie pour l’univers claudélien (1968). Le puissant tempérament épique de Claudel s’accordait à merveille avec le goût de Milhaud pour les grandes fresques, et cette collaboration féconde entre un poète catholique et un musicien israélite illustre leur commune hauteur d’esprit. Mais Milhaud s’inspira aussi d’André Gide (Alissa, 1913-1931 ; le Retour de l’enfant prodigue, 1917) et surtout de son cousin, le poète provençal Armand Lunel (les Malheurs d’Orphée, 1924 ; Esther de Carpentras, 1925 ; David, 1952).

Dès 1915, avec les Choéphores (seconde partie de l’Orestie), il commença à prospecter systématiquement les ressources de la polytonalité, dont il fut le pionnier le plus conséquent. Il en acquit auprès du public une réputation de « fauve » qui n’a jamais complètement disparu, et sa réussite populaire n’égala jamais celle d’Honegger ou de Poulenc, malgré la générosité de sa veine mélodique. En 1920, il se joignit au groupe des Six* : ce fut l’époque de ses plus grands scandales (Protée, 1919, 1re audition en 1920 ; Cinq Études pour piano et orchestre, 1920, 1re audition en 1921 ; la Création du monde, 1923. La joyeuse pochade du Bœuf sur le toit (1919, création en 1920) lui valut pour longtemps la fâcheuse réputation d’un bouffon et d’un musicien comique, alors qu’on méconnaissait ses œuvres capitales : c’est ainsi que les Euménides, terminées en 1922, ne connurent leur première audition (au concert) que trente ans plus tard, en novembre 1949, à Bruxelles, et Christophe Colomb ou David attendent toujours leur création scénique en France !

Dès lors, la vie de Milhaud se confondit avec son œuvre, qui prit une grande ampleur : seule la maladie put parfois mettre un frein à la création. En effet, à partir de 1926, Milhaud souffrit dans une mesure sans cesse croissante de terribles rhumatismes, qui finirent par en faire un infirme.

En 1940, le compositeur dut chercher refuge aux États-Unis, où on lui confia une chaire de composition à Mills College (Oakland, Californie). De 1947 à 1962, il partagea son temps à égalité entre l’ancien et le nouveau monde, enseignant alternativement à Mills College et au Conservatoire de Paris, d’où il ne prit sa retraite qu’en 1967. Il demeure d’ailleurs beaucoup plus joué aux États-Unis, où son prestige est immense, qu’en France, où la majorité de son œuvre est peu diffusée.

Parmi les compositeurs de ce siècle, Milhaud ne le cède qu’à Villa-Lobos* quant à la fécondité : à quatre-vingts ans, en possession d’une puissance créatrice intacte, il a allègrement dépassé l’opus 450 ! Abordant tous les genres, cette production est forcément inégale, mais chez l’authentique Latin qu’est Milhaud, abondance n’est synonyme ni de prolixité ni de démesure, et ses œuvres s’en tiennent toujours à des dimensions normales. L’inspiration, à la fois provençale et juive, de Milhaud est celle d’un lyrique méditerranéen, pour lequel « la Provence s’étend de Constantinople à Buenos Aires, avec Aix pour capitale ». L’Amérique latine prend en effet une place très importante dans son œuvre, particulièrement le Brésil, à la suite du séjour qu’il y effectua en 1917-18 comme secrétaire de Paul Claudel, alors ambassadeur de France. De ce voyage naquirent notamment l’Homme et son désir, dont la disposition spatiale de divers groupes vocaux et instrumentaux ainsi que l’émancipation de la percussion anticipent audacieusement sur les recherches actuelles, le Bœuf sur le toit, les exquises Saudades do Brasil (1920-21), d’une si poétique écriture polytonale, etc.

Mélodiste-né, Milhaud excelle à inventer des thèmes d’une courbe franche et saine, d’une structure essentiellement tonale et même diatonique, se prêtant admirablement à l’élaboration polyphonique, le plus souvent polytonale. Mais la polytonalité de Milhaud est également d’ordre purement harmonique (d’où son fameux « contrepoint d’accords »), le musicien y trouvant « plus de violence dans la force et plus de subtilité dans la douceur ». Le langage rythmique est simple, la périodisation presque aussi symétrique que chez les classiques ; l’orchestration, franche de couleur jusqu’à la crudité, recherche les timbres purs et ne devient parfois opaque que par la densité extrême de la matière polyphonique. Cet art lumineux, aux antipodes du chromatisme germanique (l’aversion de Milhaud pour Wagner et Brahms est légendaire !), se situe tout naturellement dans la grande tradition française de Couperin, de Rameau, de Berlioz, de Bizet et de Chabrier, dont se réclame le compositeur : c’est l’une des manifestations les plus considérables de la musique non sérielle de notre époque. L’œuvre de Milhaud exprime une profonde sérénité, une paix intérieure, d’autant plus admirables qu’elles émanent d’un être physiquement torturé. Excellant dans la traduction de l’allégresse, de la tendresse intime et de la poésie pastorale, elle garde, lors même qu’elle se hausse à une horreur tragique digne de l’Antiquité grecque, une sorte de noblesse olympienne opposée à tout expressionnisme subjectif ou trop « engagé ».