Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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migration (suite)

Statut de l’immigré

Pendant longtemps, l’immigré n’a pas joui îles mêmes droits que le travailleur français. Déjà démuni des moyens minimaux d’assurer sa protection et sa défense, il faisait l’objet, jusqu’à une date récente, d’une discrimination légale.

Ce n’est, en effet, que depuis le 27 juin 1972 qu’il peut être délégué au comité d’entreprise ou délégué du personnel et c’est seulement depuis le 11 juillet 1975 qu’il est éligible aux fonctions de délégué syndical, à condition de savoir s’exprimer en français.


Les immigrés dans la structure sociale

À chaque nouvelle inquiétude concernant le marché de l’emploi, les vieux réflexes xénophobes réapparaissent. Les stéréotypes cessent d’être l’occasion de plaisanteries sur la « paresse des Africains » ou la « virilité des Noirs » : ils deviennent les véhicules d’un racisme agressif. En conjoncture sociale froide, les sondages révèlent à intervalles réguliers une attitude anti-immigrés chez bon nombre de Français. Souvent 65 à 70 p. 100 des interviewés prennent parti pour la discrimination (au niveau des licenciements, de la promotion professionnelle ou du logement). Par contre, en période chaude de mouvements sociaux en action, les situations de conflit peuvent prendre des directions peu prévisibles : tant il est vrai que campagnes d’information, propagande ou formes diverses d’influence de l’opinion publique déterminent en fin de compte l’intensité et les manifestations du racisme. C’est ce qu’ont compris depuis plusieurs années des organismes militants comme le M. R. A. P. (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix) ou les associations de solidarité avec les travailleurs immigrés, qui sont 115 disséminées à travers le pays et regroupées dans une fédération indépendante, la F. A. S. T. I.

Les syndicats ont, surtout depuis 1968, accéléré la prise de conscience du problème immigré. D’un côté, les étrangers employés comme manœuvres ou O. S. appartiennent à la classe ouvrière par leur position professionnelle dans les rapports de production. D’un autre côté, les différences culturelles les isolent du reste des ouvriers français, ainsi que le phénomène de substitution par lequel les immigrés occupent en majorité les catégories d’emplois les plus inférieures. À la limite, on distingue deux marchés du travail. Le double mécanisme de la différenciation socioculturelle et de la substitution économique entraîne une distance de plus en plus grande entre travailleurs français et étrangers, tant sur le lieu de travail que dans la vie hors du travail. Bien plus, l’intérêt des employeurs consiste souvent à renforcer le fossé entre les deux sous-groupes de la classe ouvrière, par une série de pratiques institutionnelles ou quotidiennes. Dans ce contexte, les risques de division entre deux fractions du mouvement ouvrier deviennent un souci majeur pour les grandes centrales syndicales. C’est cette crainte qui aujourd’hui remplace la peur d’une concurrence directe au niveau de l’emploi, concurrence en voie de diminution étant donné les écarts de qualification.

Depuis 1968, l’attention portée par la C. G. T. ou la C. F. D. T. à l’immigration n’a fait que s’accroître. Le milieu ouvrier, qui n’est pas exempt de racisme lui aussi, a réagi de façons diverses. Par leurs journées d’action ou des campagnes de presse, les syndicats ont actuellement trois objectifs : l’information sur la situation réelle des ouvriers étrangers ; l’explication de l’enjeu politique de l’immigration avec la présentation des thèses confédérales dans ce domaine ; la mobilisation commune des travailleurs français et immigrés. Le mouvement syndical vit de sa volonté d’unifier les secteurs ouvriers et ne peut laisser s’autonomiser des luttes isolées d’immigrés.

Les syndicats acceptent l’ouverture des frontières, mais rejettent les modalités de l’immigration (clandestinité, absence de structures pour l’accueil ou le logement). Ils revendiquent l’égalité des droits sociaux et syndicaux entre nationaux et étrangers, et en particulier la possibilité concrète d’une représentativité des immigrés sur le lieu de travail. Les difficultés de l’action syndicale ont pour base la complexité du mouvement migratoire lui-même : en effet, le volume, la composition et le rôle économique et social de l’immigration se définissent dans la confrontation plus ou moins violente des politiques patronales, des stratégies gouvernementales, des luttes syndicales et politiques en France et dans les pays d’émigration.


Avantages et inconvénients de l’immigration

Pour les pays fournisseurs, le départ des migrants rend moins aigu le problème du chômage et sert de soupape de sécurité. Les transferts de fonds (l’étranger en France expédie couramment un tiers de son salaire pour sa famille restée au pays, et cela tout le temps de son séjour) contribuent à équilibrer la balance des paiements de ces pays. Les migrants qui retournent chez eux apportent parfois une précieuse formation professionnelle, pouvant contribuer au développement économique du pays.

Inversement, ces mêmes pays fournisseurs se délestent de leur première richesse : les hommes jeunes, capables d’initiative, soit la force vive du pays. L’hémorragie migratoire peut prendre des proportions inquiétantes, comme dans le cas de la Grèce. D’autre part, un pays où l’émigration s’amplifie devient de plus en plus dépendant du pays d’accueil. Des liens comparables à l’ancien pacte colonial peuvent se tisser entre la France, d’une part, qui monopolise produits finis et travailleurs qualifiés, et tel pays africain, d’autre part, réduit à la production de matériaux bruts et de force de travail non qualifiée.

Pour le pays d’accueil, les avantages économiques sont sans conteste très importants : meilleure capacité de production, régulation du marché de l’emploi favorable aux employeurs, promotion des nationaux. L’avantage démographique n’est pas à négliger non plus. Sur le plan social, les risques de troubles raciaux peuvent aller jusqu’au cas extrême des ghettos noirs d’Amérique du Nord.