Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Michel-Ange (suite)

Surviennent cependant des temps de trouble et de violence. Un pouvoir populaire s’installe à Florence ; en 1527, c’est le sac de Rome, et la civilisation humaniste de la Renaissance semble s’écrouler sous le coup de nouveaux Barbares. L’artiste ressent profondément ces événements, qui s’ajoutent à ses drames intérieurs et aux multiples entraves dont son œuvre est victime. En 1530, Florence se rend au pape Clément VII. Bientôt, Michel-Ange ne se sent plus chez lui à Florence, que, dès 1534 (ayant à peine achevé les tombeaux médicéens), il abandonnera presque définitivement pour Rome. Là le monument de Jules II est devenu pour lui un cauchemar et, en 1532, l’artiste se résout de guerre lasse à un arrangement assez pitoyable : des disciples médiocres participent à la finition du monument et à sa mise en place dans la petite église San Pietro in Vincoli, cadre hors de proportions. À deux nouvelles statues du monument définitif, Michel-Ange ne travaille que partiellement : Rachel, qui symbolise la vie contemplative, et Lia, la vie active, toutes deux marquées par une tendance au classicisme, auquel se rallie l’artiste vieillissant. Il n’y a plus d’esclaves, et le groupe de la Victoire, destiné primitivement à ce grand ensemble, reste dans l’atelier (auj. au Palazzo Vecchio de Florence) ; sa construction savante « en flamme » inspirera toute la sculpture maniériste. Enfin, les proportions du Moïse sont irrémédiablement faussées par l’emplacement, de plain-pied, qui ne lui convient pas.


« Le Jugement dernier », les travaux d’architecture

L’humeur assombrie, le pessimisme grandissant de l’artiste se trahissent dans la grande fresque du Jugement dernier, accomplie de 1536 à 1541 à la demande de Paul III Farnèse pour couvrir le mur du fond de la chapelle Sixtine. Les tonalités sont plus foncées que dans les fresques du plafond ; le Christ-juge, qui revêt les apparences d’une sorte d’Apollon un peu épaissi, est rien moins que rassurant, et la plus grande partie de la Création semble vouée à un destin maudit. La composition, assez confuse, souffre enfin du voisinage du chef-d’œuvre de la maturité. Comme dans ses Pietà, c’est là encore un thème médiéval que reprend et amplifie Michel-Ange, avec en plus des souvenirs de Dante et de l’Antiquité (la barque de Caron). Les supplices de l’enfer révèlent une variété et une invention aussi morbides que les tympans romans du xiie s. Les élus ont besoin de l’aide des anges et des saints pour se hisser péniblement au paradis. Ce grand ensemble a plus fait que tout le reste pour établir la réputation de « terribilità » de Michel-Ange. On sait, d’autre part, qu’au siècle suivant les nudités héroïques de la Résurrection choquèrent et qu’il fallut leur ajouter des caleçons pour sauver la décence !

La longue vieillesse de l’artiste ne sombre cependant pas totalement dans l’amertume ; jusqu’au bout, Michel-Ange reste actif et participe à la vie artistique de son temps, conseillant, recommandant tel ou tel de ses disciples, patriarche redouté déjà envahi par son mythe. Il noue des liens d’amitié avec le cercle romain qui se réunit autour de la poétesse Vittoria Colonna (1492-1547) et retrouve un peu l’atmosphère des grands débats d’idées de naguère, dans les jardins de l’Académie. Il écrivait lui-même, depuis longtemps, des poèmes qui, comme ses lettres, nous renseignent sur sa pensée, notamment par rapport aux concepts platoniciens. Le buste de Brutus (Florence, Bargello), effigie idéale du tyrannicide, qu’il sculpte à cette époque, porte reflet de ces amitiés romaines. Michel-Ange entreprend pour la chapelle Pauline (Vatican) deux nouvelles grandes fresques, la Conversion de saint Paul, renversé de son cheval, et la Crucifixion de saint Pierre, mais, là encore, les mains des disciples prennent une part prépondérante à l’exécution.

Problèmes et projets d’architecture prennent de plus en plus de son temps. Dans ce domaine, ses deux meilleures réussites sont le vestibule et l’escalier de la bibliothèque Laurentienne à Florence, commencés dès 1523, mais qui ne seront achevés qu’après 1560, selon ses plans, par Bartolomeo Ammannati (1511-1592). À Rome, sur ses dessins aussi, sont entrepris la transformation des thermes de Dioclétien en église (Santa Maria degli Angeli, 1561-1566) et le dernier étage, avec sa vigoureuse corniche, du palais Farnèse. À partir de 1538, on travaille sous sa direction à l’ordonnance de la place du Capitole ; trois palais la bordent, décorés de puissants pilastres qui rythment et animent les façades, creusées d’ombres intenses. Cette structure dynamique engage l’architecture dans des voies conduisant au baroque, en ménageant des effets scéniques où entrent des éléments sculptés : ici, au centre de la place, le Marc Aurèle à cheval et, à l’entrée, les Dioscures, toutes sculptures antiques. Enfin, ce qui ne contribua pas peu à la gloire, Michel-Ange donna le dessin de la fameuse coupole de Saint-Pierre. Officiellement architecte de la basilique en 1546, il ne parvint cependant pas à la terminer, contrecarré par les manœuvres des amis de son prédécesseur, Antonio da Sangallo* le Jeune. Plus tard, l’enveloppe extérieure fut rebâtie selon un profil différent. Il n’en reste pas moins vrai que l’énorme et imposante croisée de Saint-Pierre porte toujours la marque de son génie et que le Bernin*, autre génie, a su retrouver instinctivement un accord profond avec son grand prédécesseur, qu’il vénérait d’ailleurs.


Le message du sculpteur

Mais Michel-Ange n’oubliait pas la passion de sa vie, sa vraie vocation, la sculpture. Jusqu’au bout, il poursuivit son combat épique contre le marbre. L’idée de la mort le hantait, et cette méditation si conforme à sa foi chrétienne, renforcée par l’âge, recourait de nouveau à cette image de Pietà qui lui avait procuré son premier chef-d’œuvre : c’est plus exactement une Déposition qu’il commence vers 1550, en la destinant d’abord à son propre tombeau (dôme de Florence). Les formes sont, une fois de plus, totalement originales. Ce corps disloqué, en zigzag, du Christ, dont les deux femmes de chaque côté parviennent à peine à contenir la chute, et la figure fantomatique (on y a vu un autoportrait) de Nicodème ou, selon certains commentateurs, de Joseph d’Arimathie debout par-derrière, comme un Dieu le père dans certaines Trinités germaniques, ne se réfèrent à aucun schéma italien du temps, et c’est de nouveau, semble-t-il, vers le monde nordique qu’il faut se tourner pour trouver un écho de ce mysticisme expressionniste et halluciné. La dernière tentative, de nouveau un homme de douleur disloqué contre la Vierge debout (Pietà Rondanini, Milan, Castello Sforzesco), est pitoyable et bouleversante. L’artiste, qui avait déjà porté un marteau furieux contre la Pietà du Dôme, supprimant ainsi une jambe du Christ et brisant les bras, réduisit, par désespoir d’obtenir la forme désirée, l’œuvre ultime à une sorte de fantôme fait de repentir, de hantise de l’échec et du néant, avec un membre dérisoire accroché, semble-t-il, dans le vide, comme un ex-voto d’infirme.