Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mérovingiens (suite)

Dès l’annonce de la mort de Charles Martel le 22 octobre 741 se manifestent les forces centrifuges, qui espèrent exploiter la faiblesse ou l’inexpérience possible des deux maires du palais. Avec l’appui de Griffon, Aquitains, Bavarois, Alamans, Saxons se rebellent aussitôt. Renforçant alors leur autorité à l’abri de la royauté fictive d’un dernier Mérovingien, Childéric III (743-751), fils de Chilpéric II, les deux fils légitimes de Charles Martel s’emparent de la personne de Griffon en 741, puis brisent par la force les révoltes saxonnes (743 et 744), bavaroises (743 et 744), aquitaines (742 et 745) et des Alamans (744-746). Resté seul maître du regnum Francorum après la décision de Carloman d’abdiquer pour entrer dans les ordres en 747, Pépin le Bref doit briser de nouvelles insurrections, saxonne en 748 et bavaroise en 749, suscitées par Griffon.

L’intelligence politique des Pippinides, l’importance du réseau de fidélités personnelles qu’ils ont su mettre en place, la puissance de leur armée, et en particulier de leur cavalerie, création de Charles Martel, l’ampleur, enfin, des confiscations de biens d’Église par ce dernier et, par contrecoup, l’aisance de leur trésorerie, tels sont les facteurs qui expliquent la réussite des ancêtres des Carolingiens.

Pourtant, le dernier aspect de cette politique aurait pu les priver de l’appui de l’Église. En décidant de restituer partiellement en 742 en Austrasie les biens ainsi usurpés, en faisant appel notamment à saint Boniface pour évangéliser la Germanie, en facilitant la réunion, en Austrasie et en Neustrie, des synodes des Estinnes en 743 et de Soissons en 744 afin d’y restaurer la hiérarchie et la discipline, les fils de Charles Martel s’assurent la fidélité du corps ecclésial et notamment de Boniface. Ce dernier n’hésite pas à sacrer avec de l’huile sainte Pépin le Bref, qui s’est fait reconnaître roi des Francs par les Grands assemblés à Soissons en novembre 751, tandis que le dernier Mérovingien, Childéric III, est tondu et enfermé à l’abbaye de Saint-Bertin à Sithiu, près de Saint-Omer. Ainsi se trouve assuré sans difficulté le changement de dynastie dans un pays où un long effacement a couvert du manteau de l’indifférence et détaché des Mérovingiens la masse de leurs sujets, devenus insensibles à l’origine et à l’aspect mystiques de leur pouvoir monarchique.


Les institutions mérovingiennes


Le roi

Lointain descendant du mystérieux Mérovée, qui confère un charisme héréditaire à sa dynastie, ne devant en fait la possession du trône qu’à la force, considérant enfin ce dernier comme un bien patrimonial, le roi mérovingien détient un pouvoir absolu de type germanique, qu’il exerce par des bans (ou ordres) auxquels nul ne peut désobéir, qu’il soit clerc ou laïque, sous peine d’une amende de 60 sous d’or et, en cas de récidive, de mise hors la loi.


Le palais

Adaptation de l’institution impériale de même nom, le palais, qui est devenu une institution itinérante de villa en villa, réunit plusieurs organismes.

• Les services de cour. Ils sont dirigés par les grands dignitaires antiques : le majordomus (ou major palatii), sans doute successeur du curopalate byzantin, responsable de l’intendance du palais et qui finit par étendre son autorité à l’ensemble de la Cour avant de la substituer à celle du souverain au cours du viie s., lors de la constitution d’entités régionales, Austrasie, Neustrie, Bourgogne ; le comte du palais, qui préside en son absence le tribunal du palais, formé de leudes ; le sénéchal (francique siniskalk), responsable de la discipline qui dirige l’ensemble du personnel domestique du palais ; le chef des échansons (pincernae), qui commande le service de bouche ; le connétable (comes stabuli), chef des services de l’écurie, ayant sous ses ordres des maréchaux (valets de chevaux) ; le chambellan (cubicularius), valet de chambre du roi, sous l’autorité duquel sont placés les camériers (camerarii), responsables de la garde du trésor royal, déposé dans une chambre (camera) qui jouxte celle du roi.

• Les bureaux d’écriture (scrinia). Ils réunissent de nombreux scribes (notarii, cancellarii), dirigés par les référendaires (referendarii), auxquels sont même confiés des missions politiques ou des commandements militaires.

• La garde militaire des antrustions. Ces derniers sont les successeurs des compagnons germaniques qui jurent « truste et fidelit » au roi, devant lequel ils se présentent en armes.


L’administration locale

• Le comte en est l’agent essentiel. Représentant par excellence du roi, il exerce son autorité soit dans le cadre de la civitas (cité) gallo-romaine, transformée en circonscription ecclésiastique (au vie s., on en compte 120), soit dans celui, plus réduit, du pagus dans les contrées germaniques, par assimilation, au viie s., de ses fonctions à celle d’un officier royal de rang originellement inférieur, le grafio. Responsable de l’administration et de la justice, il lève l’impôt, réunit et commande les troupes de son ressort, si possible en accord avec l’évêque, dans l’élection duquel le roi intervient dès le vie s. et dont seule l’autorité peut, de ce fait, limiter la sienne. Recruté d’abord parmi les Grands fréquentant la Cour royale, il échappe finalement à l’autorité du souverain lorsque celui-ci doit admettre en 614 un recrutement local.

• À un niveau supérieur, le duc exerce un commandement purement militaire dans des cadres territorialement fluctuants, sauf dans les duchés de Champagne et de Toulouse.

• À un rang très inférieur, le centenarius (centenier) n’est responsable que de 100 à 120 soldats francs implantés sur la terre royale.


Les finances

Confondant les revenus du royaume avec leur fortune personnelle, mis dans l’impossibilité de procéder à la révision du cadastre et donc de lever régulièrement l’impôt foncier, les rois multiplient dès la seconde moitié du vie s. les impôts indirects (péages et tonlieu), dont le produit complète celui des droits régaliens : monnayage, droit de gîte ou fredum, part revenant au roi lorsqu’il y a « composition » judiciaire. Mais, amputé de la fraction du fredum qui sert à rétribuer le comte, réduit par ailleurs par la concession trop fréquente du privilège d’immunité à l’Église, le produit de l’impôt se révèle insuffisant pour faire vivre les rois mérovingiens, qui tirent en fait l’essentiel de leurs ressources de la guerre, qui leur fournit butin, esclaves et tributs, et surtout de l’exploitation économique de leur domaine foncier, constitué d’anciennes terres du fisc impérial. Aussi ne faut-il pas s’étonner que sa dissipation, soit au profit de l’Église pour des raisons religieuses, soit au profit des Grands pour en étayer la fidélité chancelante, ait été l’une des raisons fondamentales de la décadence de la dynastie mérovingienne face à l’aristocratie bénéficiaire de ce transfert de propriétés.