Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Matute (Ana María) (suite)

La Trampa (la Trappe) [1968] est le dernier volet de la trilogie. Les personnages cherchent en vain leur identité ; aucun d’eux ne trouve son accomplissement. Désolés, malheureux, tourmentés, ils s’élèvent en vain contre les vieux mythes qu’ils rendent responsables de leurs malheurs : mais la révolte est futile. Matia l’héroïne divorce, devient la maîtresse du tragique Mario ; Bear, son fils, tue, désabusé, pour se débarrasser d’une hantise.

Ana María Matute a également publié des essais où elle précise ses visions du monde (A la mitad del camino en 1961 et El rio en 1963), des contes, des nouvelles et des sketches (Historias de la Artámila et El arrepentido en 1961, Algunos muchachos en 1968), des fables pour enfants et des histoires sur les enfants pour les adultes.

Toute son œuvre est marquée du signe du non-conformisme et braquée contre l’injustice, qu’elle provienne du régime économique ou bien que les victimes en soient les enfants ou les femmes. L’idéalisation en est absente ; l’idéalisme y est toujours présent. « J’ai choisi la littérature — écrit-elle — comme le moyen selon moi le plus approprié et le plus efficace pour communiquer aux hommes l’idée que je me fais d’eux et leur dire ma solidarité dans leur douleur de vivre. » Communication plutôt que communion, solidarité plutôt que charité, vision personnelle de l’homme et de la vie : c’est ainsi que Ana María Matute laisse au monde un message et remplit sa mission.

C. V. A.

 M. E. W. Jones, The Literary World of Ana Maria Matute (Lexington, Kentucky, 1970).

Maugham (William Somerset)

Romancier, dramaturge et nouvelliste anglais (Paris 1874 - Saint-Jean-Cap-Ferrat 1965).


L’esprit de la science se répand en ce début de siècle. À H. G. Wells, il souffle l’optimisme confiant. À Aldous Huxley, il apporte un pessimisme corrosif. Quant au docteur W. S. Maugham, diplômé à vingt-trois ans, il lui donne cette vue de la nature humaine sans illusions comme sans haine un peu hâtivement baptisée scepticisme. Le regard clinique qu’il promène sur les êtres et leurs actes s’arrête sur leur seuil. Leur moi, il le leur abandonne. Pour Dieu, il aimerait bien y croire. Mais il ne s’en tourmente pas comme Graham Greene. Par contre, digne descendant de Defoe, il accorde grande valeur à l’argent. Il en gagne même tant qu’il s’acquiert la méfiance de beaucoup. De plus en plus largement lu, il se heurte à la suspicion de la critique et des cercles littéraires, ce qui ne nuit nullement au succès de Lady Frederick, Mrs. Dot, Jack Straw, trois événements théâtraux simultanés (1907-1908) suivis jusqu’en 1933, où il s’arrête d’en écrire, d’une longue série de pièces brillantes où Our Betters (1917, édit. en 1923) marque le sommet.

S. Maugham vient d’une famille d’hommes de loi. Orphelin à dix ans, il trouve accueil au presbytère de son oncle Henry, à Whitstable — dont la campagne sert de cadre à son roman Mrs. Craddock (1902) — et s’inscrit à King’s school, Canterbury. En 1891, il part pour Heidelberg. Il étouffe dans cette atmosphère. Tandis que son apprentissage à l’hôpital Saint Thomas de Londres lui fournit le matériau de son premier roman, Liza of Lambeth (1897), à l’image de son aîné S. Butler, il tente d’exorciser le presbytère dans Of Human Bondage (Servitude humaine, 1915), faisant revivre également sa vie de bohème à Paris (1903-1905). Son goût des déplacements lui fait parcourir le monde. Il en rapporte quelques livres de voyages, Andalusia (1905), Don Fernando (1935) ou On a Chinese Screen (le Paravent chinois, 1922), The Gentleman in the Parlour (1930). Peu de chose en réalité à l’égard de tant de lieux visités, cadre surtout de sa fiction et marque caractéristique de ses romans et nouvelles. Par exemple, Tahiti pour The Moon and Sixpence (l’Envoûté, 1919), Hongkong pour The Painted Veil (la Passe dangereuse, 1925), l’Inde pour The Razor’s Edge (le Fil du rasoir, 1944), l’Espagne pour Catalina (1948) ou Borneo pour Flotsam and Jetsam. Pendant les deux guerres, Maugham se met au service de l’Angleterre. Dans le corps médical en 1914, puis dans l’Intelligence Service, qui fournit au recueil de nouvelles Ashenden (1928) des souvenirs dépourvus de romantisme. En 1939, consciencieusement, mais sans enthousiasme, il fait œuvre de propagande avec France at War (articles, 1940, rassemblés et édités en français en 1945 sous le titre la France sous les armes) ou The Hour before the Dawn (roman, 1942). Dans son errance de luxe, le port d’attache stable se trouve au Cap-Ferrat, dans sa villa achetée en 1928. Il s’y éteint en 1965, après une longue vie bien remplie où la famille tient la moindre place. Marié en 1915, il divorce en 1927 et ne voit que de loin en loin Elizabeth, sa fille unique. Son œuvre, qui abat bien des mythes, l’Amour dans Mrs. Craddock, la Femme à travers Lady Frederick, Milred Rogers (Of Human Bondage), Kitty Fane (The Painted Veil) ou Julia Lambert (Theatre, 1937), se survivra sans doute par les nouvelles, dont la plus célèbre semble « miss Thompson » (The Trembling of a Leaf [l’Archipel aux sirènes], 1921), devenue « Rain » après le succès de la pièce de John B. Colton en 1922.

Admirateur de Maupassant, Maugham reste avec George Moore le descendant direct du naturalisme à la française, auquel le portent son esprit méthodique, sa formation médicale, un tempérament froid, lucide, d’une brutale franchise qui lui attire des ennuis par les personnes interposées de Thomas Hardy et de Hugh Walpole caricaturées dans Cakes and Ale (la Ronde de l’amour, 1930). Humeur, art, idées se reflètent aussi bien dans A Writer’s Note-book (1949) que dans ses livres de critique (The Summing up, 1938 ; Points of View, 1958...). Il méprise Henry James, et sa technique, qui se distingue par l’économie des moyens, peu d’intrigue, observation rigide, clarté, donne à ses personnages une vie tout extérieure, la seule chose vérifiable. Aussi, tel Joseph Conrad, utilise-t-il souvent un narrateur observateur en qui on peut le retrouver dans The Narrow Corner (1932). Comme Conrad aussi, mais le souffle romantique en moins, il observe l’effet de l’environnement sur l’homme. Son absence d’illusions a pour mot clef « bondage ». L’homme reste « esclave » de ses émotions en dépit de ses efforts pour écarter le « voile peint » dont parle Shelley et étreindre la réalité.

D. S.-F.

 K. G. Pfeiffer, Somerset Maugham, a Candid Portrait (Londres, 1959). / R. A. Cordell, Somerset Maugham, a Biographical and Critical Study (Bloomington, Indiana, 1961). / L. Brander, S. Maugham, a Guide (Édimbourg et New York, 1963).