Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mansart (Jules Hardouin-) (suite)

L’urbaniste

Créé à Paris pour les Bourbons, le thème de la place Royale manquait encore d’harmonie entre le motif central et un cadre trop vaste (le meilleur angle de vision se situant à une distance triple de la hauteur du monument). Jules Hardouin-Mansart l’a fort bien compris en adoptant la forme circulaire pour la place des Victoires (1685) et un rectangle aux angles abattus pour le programme définitif (1699) de la place Vendôme, chef-d’œuvre auquel la colonne a fait perdre sa signification. À Dijon, en 1686, quand il s’était agi d’établir le symbole du pouvoir face au palais des états, il avait opposé un hémicycle à la cour quadrangulaire et la statue au frontispice, en regard du centre de la composition, mais sans faire appel aux ordonnances ioniques, qui donnaient aux places parisiennes leur « habit de cour ». L’emploi raisonné des formes courbes devait lui fournir une autre solution remarquable, celle qui permettait d’insérer les Écuries de Versailles entre les voies d’accès convergeant vers l’avant-cour du château, vers cette magnifique esplanade amortie de quarts-de-cercle dont il pensait réutiliser le tracé devant le dôme des Invalides.


Saint-Louis des Invalides

Si Louvois songeait bien, en chargeant Jules Hardouin d’achever les Invalides, à y fixer la sépulture des Bourbons, peut-on s’étonner de voir l’architecte reprendre les géniales conceptions de son grand-oncle pour la chapelle funéraire de Saint-Denis ? Hanté à son tour par le problème de la double coupole, il en proposait dès avant 1680 l’adoption pour la chapelle de Versailles ; mais il devait finalement concevoir l’édifice palatial comme une sainte chapelle lumineuse et légère (1699) et réserver l’espace ineffable pour l’église dynastique. Le projet du dôme des Invalides (1676) sera réalisé, après modification du profil supérieur, à partir de 1680. La décoration, achevée en 1706, reste dans la manière de François Mansart, avec plus de légèreté et un souci constant de mettre la pierre en valeur ; mais les chapelles elliptiques saillantes ont fait place à des volumes simples, contenus dans le strict carré du plan. La méthode de composition est géométrique (ad triangulum) et fournit des figures très pures ; leur sévérité s’accorde avec le caractère d’un édifice considéré comme la plus parfaite réussite de l’art classique.

Outre ces réalisations, qui comptent parmi les plus célèbres de l’architecture française, Jules Hardouin-Mansart a encore beaucoup construit ; trente années à la tête des Bâtiments royaux, il a pu mener le classicisme à son apogée et, par la voie de ses élèves (en particulier Boffrand*), en permettre la diffusion en Europe. À la froide beauté prônée par ses collègues de l’Académie, il a su ajouter la grâce et, renouant avec la tradition, mettre au point des distributions intérieures et un confort appelés à se généraliser. Ce souci rationnel, ne le dut-il pas quelque peu à sa première formation ? C’est un appareilleur, un praticien pensant en volumes et non en dessins qui a conçu la voûte plate de l’hôtel de ville d’Arles (v. 1684) et la structure dépouillée de l’Orangerie de Versailles (1680-1686) ; et cela n’enlève rien à une beauté établie sur des bases saines et commodes, selon les principes mêmes du classicisme.

H. P.

➙ Classicisme.

 P. Bourget et G. Cattaui, Jules Hardouin-Mansart (Vincent et Fréal, 1960). / B. Jestaz, Jules Hardouin-Mansart : l’œuvre personnelle, les méthodes de travail et les collaborateurs (École des chartes, 1962). / Les Mansart, bibliographie (Centre nat. de bibliographie, Bruxelles, 1966).

Mansfield (Katherine)

Écrivain néo-zélandais (Wellington, Nouvelle-Zélande, 1888 - Fontainebleau 1923).


Perdue dans l’épanouissement triomphant du nouveau roman psychologique, en retrait du chœur des romancières impressionnistes (D. Richardson, M. Kennedy, R. Lehmann...), étouffée par la virtuosité de V. Woolf*, tient bon cependant la fleur exquise de l’œuvre brève de Kathleen Beauchamp, alias Katherine Mansfield, nouvelliste des antipodes venue apporter à la vieille Angleterre toutes les grâces d’une sensibilité originale. Avant d’en arriver là, quel long chemin pour la fille de l’entreprenant et riche homme d’affaires de Wellington Harold Beauchamp et de son épouse, l’indolente Annie Dyer. L’éducation de Katherine, comme celle de ses sœurs Vera et Charlotte, s’organise en vue du retour vers la lointaine île mère. Mais l’esprit juvénile accumule déjà inconsciemment la matière première de bien des nouvelles : souvenirs de vacances enfantines, de sa famille, de sa grand-mère tendrement aimée, Mme Dyer, née Mansfield — dont elle prendra le nom —, qui supplée la mère indifférente (« Sur la baie », « le Voyage », « Prélude », « le Pommier », « l’Étranger »...). Trésors dont Katherine prend pleinement conscience après la mort de son frère Leslie et qui font d’elle le premier écrivain véritablement néo-zélandais (« la Femme au magasin », « Ole Underwood », « Millie », « Le vent souffle »). S’ajoute aussi, dès qu’elle arrive au collège de la Reine à Londres, le coup de foudre durable pour l’Angleterre. Le temps de faire ses premières armes dans le Native Companion de Melbourne (1907) avec Vignettes, petit recueil de prose imprégnée de Londres et d’Oscar Wilde, et elle abandonne définitivement Wellington. Alors commence une vie de luttes, de souffrances — que révèlent Journal (1927) et Lettres (2 vol., 1928) — dans le cheminement ingrat vers son art, entravé encore par une santé délicate et une existence sentimentale tourmentée. En 1909, Katherine épouse un professeur de chant, G. Bowden, avec tout de suite la séparation avant le divorce (1918), alors que, dès 1912, commence le roman avec John Middleton Murry, auteur d’ouvrages critiques et idéologiques, et jeune et brillant directeur de la revue littéraire de pointe Rhythm, où Katherine écrit de 1911 à 1914. À cette époque, elle collabore également au New Age, auquel elle donne en particulier les nouvelles du recueil Pension allemande (1911), au Blue Rewiew (1913), à l’Athenaeum (1919-1921), où elle fait la critique littéraire réunie sous les titres de Romans et romanciers (1930) et d’Adelphi (1923-1948). En 1913, l’année où elle connaît F. Carco, elle lie avec D. H. Lawrence une amitié mitigée qui connaît plus de bas que de hauts. Malgré les orages, même après son nouveau mariage avec Murry (1918), cette partie de sa vie demeure somme toute un répit dans la bataille qu’elle mène pour « écarter de [sa] porte le cercueil » et qui se déroule de la Bavière (1909) à l’institut de G. Gurdjieff, une sorte d’illuminé, à Fontainebleau (1922), en passant par la Provence, l’Italie, la Suisse, pour se terminer au prieuré d’Avon, où la tuberculose l’emporte. Son œuvre, répartie en recueils (Prélude, 1918 ; Félicité, 1920 ; la Garden-Party, 1922 ; le Nid de colombes, 1923), redonne un nouvel essor à la nouvelle, genre quelque peu négligé alors en Angleterre, malgré l’écho récent de H. H. Munro. On y sent l’influence de Tchekhov (l’Enfant qui était fatigué), bientôt fondue dans une manière qui n’appartient qu’à elle. K. Mansfield applique d’instinct la technique des points de vue inaugurée par H. James (« Prélude »), mais sa passion de la vérité a, pour s’épanouir, besoin de grand air : « Pas de romans, pas d’énigmes, rien qui ne soit pas simple, ouvert. » Ses thèmes : les problèmes de chacun (« Au café », « la Lassitude de Rosabel »), rendus avec un don sûr de l’observation. Peu d’intrigues, mais le temps intérieur au fil de la rêverie et des dialogues. Les images abondent (« Je ne parle pas français »). Dans un style délicatement ciselé, sa sensibilité donne une série d’inoubliables pastels, non dépourvus d’humour, d’hommes (« Mariage à la mode », « Une famille idéale », « M. et Mme Colombe »), de femmes (« Vie de maman Parker », « Son premier bal », « la Femme de chambre ») et d’enfants (« Sur la baie », « le Voyage », « la Maison de poupée »). Elle chante doucement, sans tristesse, tendrement la chanson des vies ratées (« les Filles de feu le colonel »), de la solitude (« Miss Drill »), mais aussi, comme dans son chef-d’œuvre, la Garden-Party, la beauté fragile de la vie, où cohabitent la mort et les promesses de bonheur.

D. S.-F.

 A. Alpers, Katherine Mansfield. A Biography (Londres, 1953). / A.-M. Monnet, Katherine Mansfield (Éd. du temps, 1960).