Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mans (Le) (suite)

Le chemin de fer devait avoir sur l’économie un autre effet d’entraînement : il l’a vouée à l’industrie. À deux heures de Paris, dans une région disposant de main-d’œuvre et capable de retenir une partie du trop-plein d’emploi breton, entourée de terrains maigres à bon marché, la ville est apparue comme un point de chute précieux pour la décentralisation. Faite d’abord d’initiatives locales (1860-1914), l’industrie mancelle prenait, dans le contexte de la politique de replis de l’entre-deux-guerres, un brusque essor, qui ne s’est pas démenti depuis. Dans une gamme étendue de fabrications métallurgiques et mécaniques, elle livre aujourd’hui des pièces de fonderie (Chappée), du matériel ferroviaire (Carel et Fouché), des pompes hydrauliques (Jeumont-Schneider), du matériel électrique (Westinghouse) et électronique (Schneider, Ohmich), des armements (Atelier de Fabrication), des cartouches (Manu-Rhin). La construction automobile, surtout, l’a mise en vedette. Née du génie inventif d’un fondeur de cloches, Amédée Bollée, qui lançait en 1873 sa première voiture, elle trouvait en 1936 avec la venue de Renault, sur des terrains achetés dès 1920-1922, un « stimulant brutal » (J. Gouhier). L’usine Renault du Mans emploie 8 000 personnes dans la fabrication de tracteurs et de pièces détachées. Trois autres établissements en comptent 2 000. Banc d’essai de l’automobile, Le Mans s’est acquis depuis 1923, par sa course fameuse des « Vingt-Quatre Heures », une renommée mondiale. Avec ses autres industries (grosse laiterie, conserverie, confection-lingerie, imprimerie, manufacture de tabacs, matières plastiques, produits photographiques, couleurs fines, bâtiment), l’agglomération rassemble dans son secteur secondaire 32 000 emplois, soit 43 p. 100 de ses actifs.


La ville

Le Mans traduit bien, dans son plan, son grand spasme de croissance contemporain. Sur la butte qui l’a vue naître, la ville ancienne serre dans sa muraille ses quartiers étages. Pittoresque, le « Vieux Mans » séduit par la masse altière de sa cathédrale romano-gothique (Saint-Julien), par le charme de ses logis à pignons, à colombages, à lucarnes, à meneaux, par l’intimité de ses courettes aux blasons effrités, par le calme feutré de ses ruelles déclives. Attenant au rempart, extra-muros, le centre marchand et administratif, ramassé aussi (place de la République), s’entoure de belles promenades (quinconce des Jacobins, parc de Tessé, jardin d’Horticulture, jardin de la préfecture).

Le contraste est total avec la ville moderne, banale, démesurée, surgie de terre dans la précipitation d’une urbanisation débordée. Si le xixe s. finissant édifie encore des quartiers ordonnancés, au sud vers la gare et Pontlieue, à l’ouest sur Saint-Pavin, caractérisés par une construction individuelle basse mais soignée (« grande mancelle » bourgeoise, « petite mancelle » ouvrière), le xxe s. multiplie dans le désordre les opérations isolées. Le bas prix du terrain sur un espace municipal que les annexions de communes portaient depuis le Second Empire à 5 283 ha, l’attachement du Manceau à la petite propriété, la nécessité de loger rapidement les contingents de main-d’œuvre appelés par le chemin de fer et l’industrie, le paternalisme patronal semaient partout lotissements et cités ouvrières. La cité ouvrière a été pendant quarante ans, par sa prolifération (une vingtaine), un apanage du Mans. Des rues mornes répètent, à des centaines d’exemplaires, les mêmes types de constructions, pimpantes sans doute dans leurs façades jaunes et ocres tranchant sur les fonds vert sombre des pinèdes, mais humbles (cité des Pins). Étalé, dilué, Le Mans développe une voirie de 320 km, égale à celle de Lyon pour une population quatre fois moindre.

L’après-guerre 1939-1945 a rompu avec ce passé. La maison individuelle reste en faveur, mais le collectif l’emporte (70 p. 100 des logements). Blocs et tours résidentiels coupent de leurs lignes blanches rigides l’horizon sans fin des petits toits gris. La construction en hauteur s’est solidement implantée au nord-est (Sainte-Croix, Brindenier), au nord-ouest (la Chasse royale, l’Épine), au sud (les Glonnières, le Ronceray). Elle a comblé au centre, sur les prés de l’Huisne, un hiatus qui, entre centre ville et Pontlieue, étranglait le périmètre urbain (Z. U. P. des Sablons, 7 000 logements) et conquis vers l’est, sur la rive droite de la rivière, des pentes exposées au midi (Z. U. P. de Gazonfier). Le peuplement a gagné les communes voisines : au nord Coulaines (7 425 hab. ; Z. U. P. de Bellevue), Saint-Pavace (802 hab.), La Chapelle-Saint-Aubin (925 hab.) ; au sud Allonnes (15 852 hab. ; Z. U. P.) et Arnage (5 153 hab.). Deux zones industrielles accueillent — au nord sur la route d’Alençon, au sud jusqu’à Arnage — les établissements nouveaux. L’université s’installe sur la route de Laval. Le Mans corrige par un urbanisme persévérant les erreurs d’une extension trop longtemps livrée à elle-même.


Les problèmes

La croissance du Mans s’exprime numériquement par des gains importants : 20 000 unités entre 1901 et 1936, 68 000 entre 1936 et 1975, plus de trois fois plus. Elle atteint, pour l’agglomération, 14 p. 100 entre 1962 et 1968, 15 p. 100 entre 1968 et 1975, faite par moitiés d’apports migratoires et d’excédents naturels d’une population jeune. Elle en a fait en moins de quarante ans l’une des grandes villes de l’Ouest. Le Mans s’est rapproché de Tours, a dépassé Caen et Angers. Son marché de l’emploi, insatisfait, recrute dans la Sarthe 8 000 migrants journaliers.

Mais son expansion même le confronte à d’irritants problèmes. Le Vieux Mans fourmille de taudis. L’allongement de la ville dans le sens méridien (8 km) et la concentration du trafic sur l’Huisne à Pontlieue entravent la circulation intra-urbaine. Réseaux d’autobus et d’assainissement couvrent mal une voirie hypertrophiée. La circulation de transit est mieux traitée depuis l’ouverture d’une rocade est-ouest, mais les points noirs demeurent nombreux. La dominante bourgeoise au nord, ouvrière au sud introduit entre quartiers une profonde ségrégation de classe. Dans ses rapports régionaux, Le Mans ne s’est pas encore défini. Sur un échiquier où les compétitions sont vives, les jeux d’influences sont serrés. Entre Paris, Caen, Rennes, Angers et Tours, Le Mans n’exerce guère son autorité que sur son département, mordant seulement à l’ouest sur la Mayenne au détriment de Laval. Ville de services, d’exécution, aux ordres de Paris, elle manque d’encadrement, d’équipements de recherche, de commerces spécialisés, de structures d’accueil, d’animation culturelle, de loisirs. Le rattachement de la Sarthe à la région de programme des Pays de la Loire en 1960 peut lui ouvrir de belles perspectives de développement en harmonie avec Nantes et Angers, mais ses relations d’affaires le font basculer sur Paris, et c’est autant dans le cadre de la « Couronne » parisienne que dans celui de la région nantaise que doit être pensé son avenir. Ses relations avec la Normandie et les Pays de la Loire l’écartèlent entre Caen et Angers-Tours. Le Mans a grandi trop vite pour ne pas ressentir de sa croissance, dans sa conformation comme dans sa vocation régionale, les à-coups.