Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Ludendorff (Erich) (suite)

Il se consacre alors à la préparation de cette grande offensive dont il attend la décision et qu’il dirigera de son P.C. avancé d’Avesnes, où il s’installe le 18 mars 1918. Et, de fait, notamment lors de la rupture du front de Picardie (21 mars - 5 avr.), il manquera de justesse la victoire, puis s’acharnera en vain à renouveler ses coups de boutoir contre le front allié. Depuis le 26 mars, toutefois, ce dernier est solidement tenu en main par Foch*, dont la stratégie dominera peu à peu celle de son adversaire. Le 8 août, date de l’offensive alliée sur la poche de Montdidier, qu’il qualifie de « jour de deuil de l’armée allemande », Ludendorff reconnaîtra que la situation s’est renversée de façon irréversible. « La conduite de la guerre, écrit-il, prend le caractère d’un jeu de hasard indigne du destin du peuple allemand [...]. Il faut donc terminer la guerre. » Le 29 septembre, Ludendorff prie le gouvernement de demander l’armistice. Remplacé par Wilhelm Groener (1867-1939) le 27 octobre, il expliquera la défaite par l’effondrement intérieur du Reich, qui agira sur l’armée à la façon d’un coup de poignard dans le dos. Retiré en Suède, puis en Bavière, il s’engage en 1923 aux côtés de Hitler* dans le putsch de Munich et est candidat en 1925 à la présidence du Reich. Avec sa seconde femme, Mathilde Spiess, il consacrera les dernières années de sa vie à une action de propagande contre toutes les « forces supranationales » — Juifs, francs-maçons et Églises chrétiennes — pour permettre l’avènement d’une religion fondée sur la seule « pureté » germanique. Il est l’auteur de Mémoires (1919) et d’un livre intitulé la Guerre totale, publié en 1935.

P. D.

➙ Guerre mondiale (Première) / Hindenburg.

 D. J. Goodspeed, Ludendorff, Genius of World War I (Boston, 1966). / H. Weber, Ludendorff und die Monopole, deutsche Kriegspolitik, 1916-1918 (Berlin, 1966).

Lukács (György)

Écrivain et philosophe hongrois (Budapest 1885 - id. 1971).



L’homme

Docteur en philosophie en 1906, il écrit en 1908, son premier essai, l’Évolution du drame moderne. De 1909 à 1914, il vit à Berlin et à Heidelberg, où il subit l’influence des idées de G. Simmel, de W. Dilthey et de Max Weber. En 1911, il publie l’Âme et les formes.

La Première Guerre mondiale le ramène à Budapest, où il se rapproche du mouvement ouvrier et de la lutte anti-impérialiste. En 1918, Lukács adhère au parti communiste hongrois et entre au Comité central en 1919, devenant commissaire du peuple à la Culture dans le gouvernement Belá Kun*. La chute de la république des Conseils le contraint à s’exiler à Vienne, puis à Berlin, où il mène de front l’activité révolutionnaire au sein du parti et de la IIIe Internationale et la recherche théorique sur le marxisme-léninisme. En 1923 paraît Histoire et conscience de classe, qui sera fortement contesté au Ve Congrès de l’Internationale communiste et critiqué par Lukács lui-même à deux reprises, en 1932 et en 1938.

La montée triomphante du nazisme pousse Lukács à s’installer en Union soviétique, où il collabore à l’institut Marx-Engels. Rentré à Budapest en 1945, Lukács est nommé professeur d’esthétique à l’université et publie de nombreux ouvrages d’esthétique et de philosophie. En 1949, son œuvre est de nouveau attaquée et dénoncée par le ministère de la Culture.

À ce moment-là Lukács renonce à ses responsabilités dans le parti et à la vie politique.

À la mort de Staline, il se rapproche de l’opposition intellectuelle, regroupée au sein de l’Union des écrivains et du cercle Pétöfi ; en 1956, il participe à la révolte hongroise et devient ministre de la Culture dans le gouvernement d’Imre Nagy. Après l’intervention soviétique et l’arrestation de Nagy, il doit partir et ne rentrera à Budapest qu’en 1957. Il est réhabilité un an avant sa mort.

Son œuvre révèle, malgré des changements, des ruptures, voire des reniements, une continuité et une unité profondes. Valider la science marxiste comme universelle, en se fondant sur son efficacité théorique et pratique, tout en l’intégrant dans un vaste processus de progrès universel, tel est le souci fondamental de Lukács.

Sa pensée constitue une référence pour le courant marxiste humaniste et libéral.


Lukács et Hegel

Si l’adhésion de Lukács au marxisme-léninisme, en 1918, constitue une rupture, son œuvre antérieure n’offre pas moins des repères précieux pour comprendre le sens de cette rupture et le rôle déterminant qui lui revient dans l’interprétation de Marx. En 1916, Lukács est sous l’influence des idées de Hegel*, influence qui ne cessera de s’affirmer. Dans la préface rétrospective et critique qu’il écrira en 1962 à la Théorie du roman, parue en 1916, il estime que, malgré ses insuffisances et ses erreurs, cette œuvre est « la première qui ait concrètement appliqué les résultats de la dialectique hégélienne à des problèmes esthétiques ». Dans son analyse de l’histoire des formes littéraires, et en particulier du passage de l’épopée au roman, il insiste sur le rapport expressif entre les formes et les « données historico-philosophiques », c’est-à-dire les modalités de la relation de l’homme au monde. L’épopée est le genre littéraire propre d’un monde qui n’a pas encore découvert son morcellement, où l’homme n’est pas encore séparé du monde et vit dans une intimité parfaite et harmonieuse avec lui. « Les structures façonnées par les hommes pour l’homme s’adaptent réellement à lui, elles constituent sa demeure nécessaire et naturelle. » Dans un univers où la vie apparaît comme immédiatement sensée, où ni la dissonance ni la nostalgie n’ont leur place, l’expression de la vie prend la forme d’une transfiguration de la vie dans un champ lyrique. Au contraire : « Le roman est l’épopée d’un temps où la totalité extensive de la vie n’est plus donnée de manière immédiate, d’un temps pour lequel l’immanence du sens à la vie est devenue problématique. » Les dieux sont morts, qui garantissaient l’immanente signification du monde, la nature est devenue étrangère à l’homme, et les structures que celui-ci a édifiées se retournent contre lui pour l’écraser ; réduit à l’individualité, il doit affronter, dans une aventure incertaine, un univers lui-même contingent et problématique. Le héros de roman est le symbole de l’homme : en quête du sens et créateur de la totalité, dans un monde morcelé.