Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Louis XIV (suite)

Dès 1662, l’affaire de la « garde corse » pontificale qui attaque la suite de l’ambassadeur de France met le feu aux poudres. Louis XIV saisit un moment le comtat Venaissin et impose à Alexandre VII (1655-1667) d’humiliantes réparations. Avec l’affaire de la régale on est au bord du schisme. La régale était un droit royal de percevoir les revenus de certains sièges épiscopaux vacants. En 1673, le roi déclare tous les évêchés assujettis à celle-ci. Sur cent trente évêques, deux seulement protestent, deux jansénistes — Pavillon, d’Alet et Caulet, de Pamiers —, et font appel au pape. Innocent XI les soutient et, en 1680, parle d’excommunier le roi. En 1681-82, celui-ci convoque une assemblée générale du clergé, qui, sous l’impulsion de Bossuet, édicté quatre articles proclamant l’indépendance absolue des rois envers le pape pour les affaires temporelles et la suprématie du concile sur le pape.

En représailles, Innocent XI déclare nulles ces décisions et refuse d’accorder l’investiture canonique pour pourvoir aux évêchés vacants. En 1687, une nouvelle querelle à propos des privilèges de l’ambassade de France à Rome envenime la situation, et Louis XIV se dispose à envahir les États du pape. Les victoires de l’hérétique Guillaume d’Orange en 1689 sauvent le pape, et Louis XIV doit renoncer à imposer ses vues à Rome. La disparition d’Innocent XI, la même année, facilite les choses, et Louis XIV, aux prises avec les difficultés de la ligue d’Augsbourg, répudie complètement en 1692 l’édit de 1682 ; Rome triomphe.

Si le schisme n’a pas eu lieu, c’est que le concordat de 1516 donnait déjà au roi tous les avantages qu’il aurait retirés d’une Église nationale. De plus, il n’y a jamais eu simultanément à Rome et à Paris des adversaires résolus à aller jusqu’à l’irrémédiable ; enfin, la coalition européenne contre Louis XIV a dissuadé le roi de s’engager dans d’autres conflits.

Envers les protestants, la politique suivie au xviie s. ira de l’irénisme d’Henri IV à l’intolérance de Louis XIV ; c’est la démarche inverse de celle de la papauté, qui ira, elle, de l’intolérance à l’irénisme, autre cause de friction entre Paris et Rome. Quelles que soient les pressions exercées sur le roi, la révocation de l’édit de Nantes, signée à Fontainebleau en 1685, est une grande erreur politique. La responsabilité du clergé catholique, qui ne cesse de demander la fin du scandale causé par l’édit de Nantes, est prépondérante. Il faut y ajouter le poids d’une opinion publique travaillée par ses prêtres et portée à l’intolérance.

Après la paix d’Alès en 1629, qui consacre la ruine politique et militaire du protestantisme français, celui-ci a connu une période d’accalmie qui lui a permis de former un solide corps de pasteurs qui ont donné au peuple une conscience très vive de sa foi. Durant la Fronde, les protestants restent loyalistes, et certains, tel Samuel Bochart (1599-1667), se font même les champions de l’absolutisme. Pourtant, il ne leur en sera pas tenu compte : à partir de 1661, les persécutions commencent, sournoises d’abord, puis violentes. De la campagne de propagande aux tentatives de séduction (il y a une caisse spéciale récompensant les conversions) et aux pressions sur l’élite sociale, c’est-à-dire sur la noblesse protestante, on en arrive dès 1681 aux « missions bottées » qui vont entraîner des abjurations massives. L’ère des « dragonnades » pourra commencer et, l’édit de Nantes révoqué, on pourra considérer officiellement, dès la fin de 1685, que les trois quarts des réformés ont abjuré.

Mais cette politique se solde par un échec certain, et les conséquences politiques et économiques en sont désastreuses pour le royaume. Tout d’abord, la plupart des conversions forcées ne sont pas sincères ; le pape lui-même désapprouve « le motif et le moyen de ces conversions par milliers dont aucune n’était volontaire ». Les protestants des Cévennes se révoltent en 1702 (révolte des camisards*), et il ne faut rien moins, en pleine guerre de la Succession d’Espagne, qu’une armée commandée par Villars pour les réduire.

Surtout, l’émigration fait perdre à la France environ 200 000 sujets actifs ; si peu de paysans émigrent, l’élite bourgeoise part et la France se voit privée d’une foule de chefs d’industrie (surtout dans le textile), de banquiers, d’armateurs, d’artisans, qui vont renforcer la richesse de l’Angleterre, du Brandebourg, de la Hollande et des royaumes Scandinaves. De plus, les armées des futures coalitions compteront dans leurs rangs nombre de valeureux officiers français, et surtout ces derniers soutiendront efficacement Guillaume d’Orange contre les tentatives de restauration des Stuarts.

S’il est vrai que la révocation était strictement conforme à l’esprit du temps, les violences qui l’accompagnèrent scandalisèrent l’opinion étrangère et elle n’en fut pas moins une énorme faute politique. Il semble donc que les motivations purement religieuses soient insuffisantes pour expliquer cet acte de Louis XIV, et sans doute faut-il replacer la décision de 1685 dans l’ensemble de sa politique étrangère.


« J’ai trop aimé la guerre »

Le règne personnel de Louis XIV comprend, en effet, trente et une années de guerres contre vingt-trois années seulement de paix. La réussite qu’était la remise en ordre par Colbert, durant les dix premières années du règne, n’était, aux yeux du roi, que le moyen de réaliser son but suprême : son rêve de gloire militaire. Ce fut lui seul qui décida vraiment de sa politique extérieure, dont le seul facteur d’unité sera la direction royale orientée vers la grandeur. Louvois* lui avait forgé une excellente armée, Colbert une bonne marine, Vauban* avait entouré la France d’une admirable ceinture de fortifications.

En ce qui concerne l’agrandissement territorial, le succès de la politique de Louis XIV est incontestable. La frontière du Nord est définitivement constituée avec la conquête de l’Artois, du Cambrésis, du pays de Maubeuge et de Givet. Celle de l’Est, avec la conquête de l’Alsace, s’avance désormais jusqu’au Rhin, et l’enclave lorraine, entourée de trois côtés, n’est pas dangereuse. La Franche-Comté complète magnifiquement cette frontière. Dans le Sud, le Roussillon a été acquis définitivement à la France en 1659. À l’intérieur, des principautés étrangères anachroniques, comme Orange et le Charolais, ont été réunies. Ainsi, à l’exception de la Lorraine, de la Savoie, de Nice et d’Avignon, ce sont déjà les limites actuelles de la France.