Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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logistique (suite)

La Seconde Guerre mondiale ne provoque pas une révolution dans les principes, mais plutôt une évolution marquée par un changement d’échelle dans tous les domaines. En quatre semaines, le débarquement allié de 1944 en Normandie, mettant en œuvre plus de 5 000 navires, jette sur les plages un million d’hommes, 400 000 véhicules et 3 millions de tonnes de matériel. Le pont aérien qui ravitaille la Chine à partir de l’Inde débitera jusqu’à 45 000 t par mois. Les États-Unis produiront, durant la guerre, 96 000 chars, un milliard d’obus d’artillerie, 2 millions de tonnes de bombes. La guerre est une véritable entreprise industrielle, et la logistique préoccupe les gouvernements comme les généraux. « Rien ne compense la déficience du ravitaillement », écrit le maréchal Rommel. « Pas de tactique sans logistique, affirme le général Eisenhower ; si la logistique dit non, c’est elle qui a raison, il faut changer le plan d’opérations, il est mauvais. » En décembre 1941, 80 divisions allemandes doivent, après avoir progressé de 1 100 km en six mois, arrêter leur offensive au nord de Moscou parce qu’elles ne disposent, pour se ravitailler, que d’une seule voie ferrée et de transports routiers insuffisants. En septembre 1944, les divisions alliées, pourtant alimentées par les pipe-lines qui, venant d’Angleterre, progressent au rythme de leur avance, sont arrêtées sur la ligne Siegfried par manque d’approvisionnements et surtout de carburants. Dans le Pacifique, la conception initiale du plan de guerre japonais était fondée sur la conquête rapide des ressources pétrolières et minières du Sud-Est asiatique.

L’obligation de franchir les mers pour atteindre, à des milliers de kilomètres des lieux de production, des théâtres d’opérations situés dans des pays ravagés par la guerre, le souci de décharger le commandement opérationnel des servitudes du ravitaillement conduisent l’état-major américain à adopter le système des bases. Bases maritimes aménagées dès la conquête des ports et bases continentales acheminant des approvisionnements sur les armées et assurant les évacuations sont de grandes unités logistiques. Elles groupent des éléments de tous les services ainsi que les moyens de main-d’œuvre, de transport et de sécurité nécessaires au ravitaillement, à la gestion des dépôts, aux évacuations et aux réparations d’un groupement de forces (groupe d’armées) de l’ordre de 500 000 hommes. Le commandant de la base a autorité sur tous les moyens de communication ferrés, aériens, routiers ou fluviaux dans la zone de son ressort. Connaissant le plan général des approvisionnements, informé des objectifs poursuivis par le groupe d’armée qu’il soutient, il tient son chef au courant de ses possibilités et implante des dépôts dont il fixe le niveau en fonction de la manœuvre prévue. Sur le théâtre du Pacifique, la notion de base sera étendue aux forces navales et donnera naissance à des bases logistiques mobiles constituées par des bâtiments spécialisés à cet effet. Ce système affranchira les flottes des bases terrestres et leur permettra des séjours à la mer de longue durée.


Fonctions essentielles d’une logistique moderne

Après la Seconde Guerre mondiale, tous les états-majors se sont efforcés de préciser la notion de logistique, dont les contraintes techniques, économiques et financières conditionnent désormais les possibilités de la stratégie. Après bien des tâtonnements, on peut dire que les fonctions essentielles de la logistique embrassent tous les problèmes de ravitaillement, d’entretien et de mouvements dont la solution, au point et au moment voulus par le commandement, lui est indispensable pour la réalisation de son plan d’opérations. C’est autour de ces trois problèmes que l’on peut définir aujourd’hui le domaine de la logistique.

• Ravitailler, c’est procurer aux armées les approvisionnements nécessaires en vivres, munitions, matériels et équipements divers en assurant la continuité de ces fournitures malgré les aléas du combat. Cet impératif impose une orientation de l’économie du pays et une organisation très complexe de dépôts ou de volants fixes ou mobiles, qui doit être prévue dès le temps de paix. L’importance que revêt pour une armée moderne la fonction de ravitaillement est illustrée par l’évolution du taux d’entretien d’un homme par jour. Estimé à 1 kg à l’époque de César, il atteint 4 kg au xviiie s., 8 kg en 1870, 13 kg en 1918, 30 kg en 1943. Certaines études font état, en 1970, de 100 kg, ce qui représenterait chaque jour 1 500 t pour une division de 15 000 hommes et 25 000 t pour une armée de 250 000 hommes.

• Sous le vocable entretenir, on range tout ce qui concerne le maintien en permanence, à un niveau suffisant pour être efficace, du potentiel de combat des unités. Cela implique aussi bien le soin des blessés légers que la réparation ou le remplacement des matériels endommagés. Cette dernière exigence, de plus en plus complexe, a conféré un rôle déterminant au Service du matériel*.

• Les mouvements enfin concernent aussi bien les évacuations vers l’arrière des blessés, des malades ou des matériels à remettre en état que l’arrivée au point et au moment voulus du personnel, des matériels et des approvisionnements. Cette nécessité constitue à elle seule l’immense problème des transports militaires, dont la solution conditionne les autres missions de la logistique. Elle exige le contrôle et la coordination des moyens de transport de toute nature comme la libre disposition, l’entretien et la remise en état des réseaux de communications.

La logistique militaire, dont la raison d’être est le soutien des forces en cas de conflit, doit s’appuyer à la fois sur une infrastructure militaire préparée en temps de paix et sur une infrastructure industrielle, dont la finalité est d’ordre économique. Ses impératifs d’organisation, de concentration et de rendement sont à l’opposé des principes de dispersion et de multiplication qui sont de règle dans toute organisation logistique de combat. Aussi les Américains font-ils essentiellement de la logistique « la procédure suivant laquelle le potentiel brut d’une nation est transféré à ses forces armées ».