Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Antarctique (suite)

De telles lames peuvent faire danser les flottilles d’icebergs, qui s’agitent dangereusement, comme « enivrées de légèreté » (Byrd). Les vagues ont également une action efficace sur le relief et la sédimentation des seuils les moins profonds et des parages insulaires : sur les côtes exposées se dressent des falaises abruptes et élevées, alors que les rivages sous le vent ont des versants marins plus adoucis, offrant un abri par leur climat moins éprouvant. La ceinture des vents violents, qui subit une ample oscillation saisonnière sur plus de 10° de latitude, peut agir directement sur la dynamique des courants. Lorsqu’elle est reportée très au sud, le mouvement de divergence qui affecte les eaux antarctiques provoque leur refroidissement accru et leur descente le long du front antarctique, qui fonctionne alors comme une convergence ; si les tempêtes travaillent plus au nord, le front peut s’estomper et être affecté d’une divergence, et en conséquence le front subtropical est le mieux marqué.

L’air antarctique passant sur des eaux plus chaudes devient instable et se charge d’humidité : la pluie et la neige sont fréquentes (250 à 300 jours de précipitations par an) et abondantes surtout dans les îles (1 000 mm à la Nouvelle-Amsterdam), apportées par des grains violents engendrés par de brutales advections d’air glacial. Le tapis neigeux est encore important sur les îles les plus exposées, comme sur Heard et Bouvet, couvertes par des calottes glaciaires, et sur une partie des Kerguelen, où un petit glacier descend jusqu’à la mer. Partout, l’ennuagement est constant et encapuchonne le sommet des îles de plus de 500 m, singulièrement au voisinage du front antarctique, où la déperdition thermique se manifeste sous la forme de brouillards opaques et persistants. En dépit de la régularité du régime des températures (aux Kerguelen, la température moyenne annuelle est de 4 °C), le climat est âpre et inhospitalier. Sur les îles minuscules et perdues dans les brumes, les versants sont voués à la solifluxion et aux sols chétifs. Le froid n’est certes pas cruel, mais l’été est trop frais et l’évaporation trop forte pour permettre un cycle végétatif autre que celui des plantes basses, de phanérogames qui adoptent des formes de buissons ou de coussins ; les arbres n’existent que sur Auckland, Campbell, Nouvelle-Amsterdam et Tristan da Cunha, déjà aux frontières de l’océan Austral. Toutes les formes vitales témoignent d’un endémisme accusé : parmi les plantes typiques, il faut signaler le chou des Kerguelen et l’Acœna insularis, arbuste rampant, dont les tiges ligneuses enfouies forment des broussailles basses.

Parmi les collectivités animales prédominent les oiseaux de mer, qui, dégagés de la menace des grands carnassiers, trouvent dans les parties abritées des îles des sites favorables à la ponte ; certains volent (albatros, pétrels et cormorans), mais les plus caractéristiques nagent comme les manchots — qu’ils soient sédentaires (du genre Aptenodytes) ou migrateurs (du genre Eudytes) —, groupés en rookeries nauséabondes de plusieurs centaines de milliers d’hôtes. Les baleines et les éléphants de mer ont fui ces parages, où ils furent atrocement chassés.

Aussi les rares tentatives de colonisation (Kerguelen, Campbell) ont-elles échoué ; plus que l’hostilité du milieu, les grands responsables sont l’éloignement et l’isolement par rapport aux grands foyers de peuplement et aux circuits commerciaux qui les unissent. Seuls les navires océanographiques sont venus, de loin en loin, troubler la quiétude venteuse de ces îles, où plus récemment quelques stations météorologiques ont été installées. Deux petites collectivités humaines subsistent cependant aux Falkland et à Tristan da Cunha, où elles se livrent à l’élevage (moutons) et à la pêche (crustacés surtout), organisée scientifiquement par quelques grandes firmes sud-africaines.

Avant d’atteindre 40° sud, c’est à une multitude de signes, comme l’apaisement des vents et des houles, le tiédissement de l’air et de l’eau, l’évanouissement des icebergs, le bleu d’un ciel lavé de ses nuages et d’une mer au plancton déjà tropical, et à l’apparition des premiers navires des lignes régulières et des superpétroliers que l’on reconnaît avoir enfin quitté le monde inhumain de l’Antarctique...

J.-R. V.

 P. George, les Régions polaires (A. Colin, 1950). / E. Aubert de La Rüe, les Terres australes (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1953 ; nouv. éd., 1967). / Antarctic Record (Tōkyō, plusieurs volumes parus depuis 1957). / US Navy Hydrographic Office, Oceanographic Atlas of the Polar Seas, t. I : Antarctic (Washington, 1957). / La Météorologie antarctique, numéro spécial de la Météorologie (Société météorologique de France, 1960). / J. Corbel, Neiges et glaciers (A. Colin, 1962). / K. K. Markov, V. I. Bardin et A. I. Orlov, Caractéristique physico-géographique de la zone côtière de l’Antarctide orientale (en russe, Moscou, 1962). / H. Wexler, M. J. Rubin et J. E. Caskey, Antarctic Research (Washington, 1962). / A. Cailleux, Géologie de l’Antarctique (S. E. D. E. S., 1963) ; l’Antarctique (P. U. F., coll. « Que sais je ? », 1967). / T. Hatherton, Antarctica (Londres, 1965). / J. Van Mieghen, P. Oye et J. Schell (sous la dir. de), Biogeography and Ecology in Antarctica (La Haye, 1965). / Expédition soviétique de l’Antarctique, Atlas antarctique (en russe, Moscou et Leningrad, 1966). / P. Pagney, les Climats polaires (C. D. U., 1971).


L’histoire de l’Antarctique

L’Antarctique a constitué le dernier grand objectif des découvreurs, si l’on excepte la conquête des sommets de l’Himālaya, qui a plus apporté sur le plan de l’exploit sportif que sur celui de la connaissance du monde. Pourtant, l’existence du continent polaire avait été soupçonnée depuis l’Antiquité, et les mappemondes de la Renaissance, en particulier celle d’Oronce Fine, mentionnaient une Terra australis incognita.


Les premiers découvreurs

Malgré ces intuitions des géographes de cabinet, les découvreurs ne s’approcheront que très tardivement du « continent blanc ». Pourtant, Amerigo Vespucci, dans son voyage de 1501-1502, descend jusqu’à 52° de latitude sud environ.

Les découvertes successives des îles subantarctiques persuaderont les marins de l’existence d’une vaste terre dans leurs parages, mais la position de ses côtes devra être reportée sans cesse plus au sud par les cartographes.