Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

littérature

Les acceptions actuelles du mot littérature sont d’apparition relativement récente. Il existait en latin un mot litteratura, calque du grec grammatikê, mais, pour Cicéron, ce n’était encore que l’art de savoir tracer des lettres. Plus tard, le mot en est venu à désigner la science, la culture, voire la condition du lettré. C’est le sens qu’il avait encore au début du xviiie s., quand Voltaire affirmait que « Chapelain avait une littérature immense » (le Siècle de Louis XIV), et on le trouve employé ainsi sous la plume de certains auteurs jusqu’à la fin du xixe s.


Généralités

C’est en Allemagne, semble-t-il, qu’on peut constater un premier glissement du sens, notamment quand Lessing publie à partir de 1759 ses Briefe die neueste Literatur betreffend. Dans ces lettres sur la littérature, il ne s’agit plus du savoir livresque en général, mais bien de la production « littéraire » des années récentes, littéraire étant d’ailleurs un mot cousin de littérature, qui subit une évolution sémantique parallèle. On ne parle plus de personnes, mais d’œuvres : la perspective est ici nettement bibliographique. Au reste, dans certaines langues, comme l’allemand, le mot correspondant à littérature sert encore maintenant à désigner parfois la bibliographie.

À partir de 1770, de nouveaux sens se greffent sur celui-là. D’abord, le mot littérature assorti d’un adjectif sert à désigner l’ensemble de la production littéraire d’un pays ou d’une époque, puis, employé seul, le fait même de cette production. Dès lors, il n’y a qu’un pas à franchir pour que ce mot en arrive à désigner l’activité littéraire en général. Il est franchi en 1800 quand Mme de Staël publie De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, où le mot littérature est employé à peu près dans tous les sens que nous lui donnons aujourd’hui. Désormais, on n’a plus de littérature : on fait de la littérature et l’on étudie la littérature.


Littérature et belles-lettres

La notion de littérature en est venue ainsi à se substituer à celle de belles-lettres, généralement employée jusqu’à cette époque. Mais il s’en faut de beaucoup que le contenu des deux notions soit le même. D’abord, les belles-lettres étaient essentiellement dominée par deux genres : l’éloquence et la poésie, cette dernière pouvant être épique, lyrique ou dramatique. La prose narrative n’y avait qu’une place mineure et contestée. La littérature, au contraire, apparaît au moment où le roman s’impose. Largement ouverte, du moins à ses débuts, elle admet les genres « roturiers » lus et appréciés par les couches sociales qui, à cette époque, accèdent au pouvoir. Retenons ce fait important qu’elle est née d’une massification de la culture écrite.

C’est dire que la différence essentielle entre la littérature et les belles-lettres est que la première possède une dimension sociale et non plus seulement esthétique. Cette orientation est d’ailleurs très clairement indiquée par le titre de l’ouvrage de Mme de Staël. Héritière intellectuelle des frères Schlegel, mais aussi de Montesquieu, Mme de Staël fait de la littérature une résultante de l’esprit d’époque (Zeitgeist) et de l’esprit national (Volksgeist). On retrouvera ce point de vue développé et enrichi dans la conception tainienne de la littérature déterminée par la race, le milieu et le moment.

Dès lors, la littérature apparaît comme un concept évolutif, dont le contenu change selon les situations historiques, alors que les belles-lettres constituaient un cadre fixe, lié à des valeurs immuables comme le vrai, le beau ou le sublime. Il y a une histoire de la littérature, alors qu’il ne pouvait y avoir qu’une description des belles-lettres.

Il est d’autant plus difficile de cerner la notion de littérature que le mot a une mémoire sémantique complexe. Il porte à la fois l’héritage de ses anciens emplois et celui des belles-lettres, auxquelles il s’est substitué.

On n’emploie plus guère littérature dans le sens de « culture du lettré », encore que des expressions, démodées il est vrai, comme nourri de bonne littérature n’aient pas tout à fait disparu du langage. Littérature peut également servir à désigner la condition du lettré et singulièrement de l’écrivain avec une nuance parfois péjorative, comme lorsqu’on dit, par exemple, que « la littérature ne nourrit pas son homme ». Mais surtout, d’une manière générale, la littérature, c’est l’appareil de production littéraire, le monde clos des lettres. Bien que ces emplois soient en déclin, il en reste au mot une coloration fortement élitaire.

Plus vivace est la tradition issue des belles-lettres. L’emploi royal du mot et le plus usité au début du xxe s. est celui qu’en fait Gustave Lanson lorsqu’il écrit, par exemple, que, jusqu’au xviiie s., l’opéra appartient « à la littérature autant et presque plus qu’à l’art musical ». La littérature est ici l’art d’écrire par analogie et par opposition aux autres arts.

On distinguera donc l’écriture littéraire, à préoccupation essentiellement esthétique, de l’écriture fonctionnelle, utilitaire et notamment scientifique. L’ancienne notion de littérature était plus accueillante. Quand les bénédictins de Saint-Maur entreprirent en 1733 leur gigantesque Histoire littéraire de la France, ils entendaient y parler de « tout ce qui a un rapport particulier avec la littérature ». Cela incluait toutes les activités intellectuelles du lettré, y compris l’érudition, la philosophie et ce qu’on appelait déjà la science. Il eût été normal que la nouvelle notion de littérature prît en compte le même inventaire. Mais précisément à l’époque où elle apparaît s’amorce un mouvement par lequel l’érudition, la philosophie et surtout la science tendent à se démarquer du discours esthétique, à prendre un caractère plus technique, à se spécialiser. Leur cohabitation avec les belles-lettres devient de moins en moins possible. Comme l’écrit Raymond Queneau, « les techniciens sortent de la littérature au fur et à mesure de l’élévation de leur spécialité à la dignité de science ».

La littérature en tant qu’art en arrive ainsi à avoir un contenu comparable à celui des belles-lettres, avec cette difficulté, pourtant, que ce contenu est historique. Elle est aussi un corpus, une liste d’œuvres, et le problème se pose de savoir selon quel critère dresser une telle liste.