Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Liban (suite)

Cette occupation agricole reste centrée sur la moyenne montagne. La limite supérieure de l’habitat est relativement basse, généralement située entre 1 400 et 1 500 m, montant tout à fait exceptionnellement à 1 600 et à 1 700 m. Plus que dans la rudesse et l’enneigement de l’hiver méditerranéen en altitude, la raison est à chercher dans les facteurs géologiques et hydrologiques. Les voûtes sommitales calcaires, cénomaniennes au nord ou jurassiques au sud, sont rigoureusement sèches et à peu près inhabitables. Les villages n’ont pu s’établir qu’au pied de la falaise cénomanienne, dans les hautes conques du Crétacé inférieur, qui constituent la zone d’attraction maximale (entre 800 et 1 400 m). C’est là, au-dessus des gorges vertigineuses du cours inférieur des rivières, où les cavaliers ennemis ne pouvaient se risquer, que se situe le centre de gravité du peuplement. Toute la zone habitée est au-dessous de la limite supérieure de la vigne (1 700 m) et en grande partie à l’intérieur de celle de l’olivier (1 100 m).

L’économie traditionnelle de la montagne a ainsi été fondée sur une polyculture de type méditerranéen, associant les céréales et les cultures arbustives, sans irrigation. Aux arbustes vivriers (vigne, olivier, figuier) s’est ajouté le mûrier, qui a été la fortune du Liban. Il monte jusqu’à plus de 1 500 m, soit plus haut que dans d’autres montagnes méditerranéennes, en raison de l’humidité et de la nébulosité estivale. Développée en liaison avec le trafic des Echelles du Levant aux Temps modernes, la sériciculture a connu son apogée avant la Première Guerre mondiale, pour l’approvisionnement de l’industrie lyonnaise de la soie. La production dépassait alors 5 000 t de cocons. Ce fut un élément décisif de l’aisance rurale et de la constitution d’une bourgeoisie libanaise de filateurs, de courtiers et de banquiers. À côté des cultures, l’élevage du petit bétail (surtout caprins), fondé sur des migrations pastorales et humaines régulières avec hivernage dans les vallées du littoral et estivage en montagne, complète le tableau de l’économie traditionnelle.


L’État libanais, son équilibre géographique et humain

Une première expression politique de l’originalité libanaise fut réalisée dans le cadre de l’Empire ottoman, en 1861, sous la forme du « Petit Liban », plus ou moins protégé par les puissances occidentales, constitué en majeure partie par la montagne libanaise et associant essentiellement maronites et druzes avec la prépondérance chrétienne. Le « Grand Liban », créé après la Première Guerre mondiale, lors de la dislocation de l’Empire ottoman, traduit des conditions toutes différentes d’équilibre géographique et humain. La prédominance encore marquée de la montagne y est soigneusement compensée par d’autres éléments.

L’État libanais englobe ainsi les régions côtières, avec leurs villes portuaires, exclues du « Mont-Liban » de 1861, frange littorale étroite, mais qui s’élargit au nord-ouest dans la plaine du Akkar (‘Akkār). Dans l’intérieur, il englobe la dépression de la Bekaa (al-Biqā‘), allongée entre le Liban et l’Anti-Liban, ainsi que le versant occidental, pratiquement désert, il est vrai, de cette dernière montagne, mais aussi les pentes occidentales de l’Hermon, beaucoup plus peuplées et où une trentaine de gros villages rappellent le paysage de la montagne libanaise. Au sud, il comprend la partie septentrionale des collines de Galilée. La combinaison humaine ainsi réalisée aboutit à un équilibre subtil qui reposa sur une association complexe. Aux communautés traditionnelles, maronite (29 p. 100 de la population ; c’est encore la communauté la plus nombreuse) et druze (6 p. 100), s’ajoutent d’abord des communautés essentiellement urbaines. Ce sont les musulmans sunnites des villes de la côte (Tripoli [Ṭarābulus] et Saïda [Ṣaydā] en particulier ; Beyrouth, également à prédominance musulmane à l’origine, a rapidement attiré les autres communautés du pays) et les grecs orthodoxes, minorité chrétienne vivant traditionnellement à l’ombre du pouvoir, à côté des sunnites, dans les centres urbains ainsi que près de la route de Beyrouth à Damas, grand axe de circulation traditionnellement contrôlé par l’Administration. Les premiers constituent approximativement 20 p. 100 de la population, et les seconds 10 p. 100. Les grecs catholiques (6 p. 100) ont un caractère urbain moins affirmé. Ils sont surtout présents dans des villes de second ordre (Sour [Sūr], Saïda, Zahlé [Zahla]). On les trouve également à l’état résiduel dans la moyenne région du Liban méridional ainsi qu’au pied occidental de l’Anti-Liban. Les métoualis (chī‘ites), jadis répandus dans le Liban septentrional, n’ont pu s’y maintenir, en raison de leur manque d’agressivité, et en ont été chassés au Moyen Âge par les maronites. Ils se sont réfugiés dans l’extrême sud du Liban, dans la haute Galilée libanaise ainsi que dans la Bekaa septentrionale, aride et écartée, type de mauvais pays. Ils sont, avec 18 p. 100 de la population, la troisième communauté du pays. Les arméniens (6 p. 100), arrivés notamment en grand nombre lors de la Première Guerre mondiale et immédiatement après, sont nombreux dans les villes. Diverses sectes chrétiennes secondaires s’y ajoutent. Au total, les chrétiens sont légèrement majoritaires (approximativement 53 p. 100), au moins dans la population légale (ils tombent au-dessous de la moitié pour la population présente, en raison de leur plus forte part dans l’émigration). Les rapports entre ces communautés ont été longtemps réglés par un équilibre politique complexe.


L’économie


L’émigration

Si l’État libanais dépasse ainsi de nos jours nettement le cadre de la montagne autour de laquelle il s’est constitué, c’est en fait à des horizons beaucoup plus lointains qu’est liée aujourd’hui une part essentielle de son activité. L’évolution en ce sens a d’ailleurs été antérieure à l’indépendance politique. Depuis près d’un siècle et demi, la montagne libanaise s’est tournée vers l’extérieur. Les Libanais ont ainsi pris la succession des Phéniciens antiques, greffant sur leur vie rurale montagnarde une nouvelle vocation commerciale. Les conditions culturelles ont été prédominantes dans la genèse de ce mouvement. Les communautés chrétiennes avaient développé de bonne heure des liens avec l’Occident. Au xixe s. se constitue à Beyrouth un centre intellectuel où diverses universités (française, américaine) se, font concurrence. La montagne libanaise fut ainsi de bonne heure un foyer de haute éducation, un pays de bacheliers et de licenciés. L’émigration libanaise a été liée en grande partie à ce développement intellectuel. Le Liban a d’abord été, au xixe s., fournisseur de cadres pour les autres pays, arabes du Proche-Orient, notamment l’Égypte. Puis il a alimenté une « Diaspora » considérable à travers le monde, qui a commencé dès le milieu du xixe s. (les premiers Libanais arrivant aux États-Unis dès le milieu du xixe s.). Plus d’un million de Libanais vivent aujourd’hui outre-mer, dont sans doute approximativement 400 000 aux États-Unis, 350 000 au Brésil, un grand nombre en Afrique noire occidentale, où ils dominent le commerce de détail et le ramassage des produits de traite dans les campagnes. Ils sont nombreux dans plusieurs pays d’Amérique latine (notamment au Venezuela).