Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

liaison chimique (suite)

Hybridation des liaisons

L’atome d’hydrogène, ne présentant qu’une seule orbitale incomplète, ne peut former qu’une liaison de covalence σ : il est univalent (v. valence) ; par contre, l’oxygène, l’azote, le carbone... sont plurivalents ; le carbone, en particulier, est quadrivalent dans la presque totalité de ses combinaisons, et ce bien qu’il ne présente dans son état fondamental, de formule électronique que deux orbitales 2p incomplètement occupées. Cela fait supposer que, préalablement à la formation des liaisons, un électron 2s saute au niveau 2p, ce qui donne l’état excité dans lequel l’atome C est quadrivalent. Cela ne permet cependant pas d’expliquer de façon pleinement satisfaisante la formation des composés carbonés, en particulier celle du méthane CH4, pour lequel l’expérience montre que les quatre atomes H sont rigoureusement équivalents, que les quatre liaisons C—H sont identiques et que la molécule CH4 a la symétrie du tétraèdre régulier ; or, l’orbitale 2s de l’atome C a la symétrie sphérique, alors que les trois orbitales 2p ont seulement la symétrie axiale, leurs trois axes étant rectangulaires. On doit donc admettre que l’établissement des liaisons C—H s’accompagne d’un réarrangement des quatre orbitales, dites pures, de l’atome C, donnant naissance à quatre orbitales, dites hybrides, équivalentes entre elles, de symétrie axiale et pointant du centre du tétraèdre vers ses sommets (fig. 4). Cette opération, dite d’hybridation sp3, est parfaitement fondée : d’une part, le système des orbitales hybrides peut être obtenu par combinaison linéaire des orbitales pures, et les orbitales hybrides sont par suite, aussi bien que les orbitales pures, solutions de l’équation de Schrödinger ; d’autre part, ces orbitales hybrides permettent un meilleur recouvrement avec les orbitales 1s des atome  H et accroissent ainsi la stabilité de la molécule.

L’hybridation est un concept très important, invoqué pour expliquer la structure et les propriétés de nombreuses molécules, organiques ou non. Elle intéresse suivant les cas un nombre variable d’orbitales : en particulier quatre dans l’hybridation sp3, dite tétragonale (alcanes), trois dans l’hybridation trigonale sp2 (éthylène), deux dans l’hybridation digonale sp (acétylène).

Il faut remarquer que des orbitales atomiques saturées peuvent intervenir dans l’hybridation ; c’est ainsi, par exemple, que la structure pyramidale très aplatie de la molécule NH3 résulte d’une hybridation tétragonale faisant intervenir pour l’atome N ses trois orbitales 2p, incomplètement occupées, et son orbitale 2s, qui, elle, est saturée. Dans tous les cas, il semble que l’hybridation accroisse la stabilité de la molécule en éloignant au maximum les uns des autres les domaines de haute probabilité de présence des électrons, ce qui conduit à rendre minimale, d’une orbitale à une autre, la répulsion interélectronique.


Localisation des liaisons

Cet éloignement mutuel des orbitales moléculaires de liaison a pour conséquence que l’on peut, dans une molécule qui en comporte plusieurs, considérer ces différentes liaisons comme indépendantes en première approximation les unes des autres, les électrons de liaison restant pratiquement localisés au voisinage des deux atomes qu’ils unissent ; on dit, par extension, de ces liaisons qu’elles sont localisées. Il en est ainsi en général des liaisons σ ; il peut en être de même des liaisons π, bien que leurs électrons, en moyenne plus éloignés des noyaux, soient plus mobiles que ceux d’une liaison σ (une liaison π est plus polarisable qu’une liaison σ). Il est des cas, cependant, où cette localisation n’est plus admissible : ainsi, dans la molécule de benzène C6H6, les noyaux des six atomes C forment un cycle plan hexagonal régulier de 1,39 Å de côté, ce qui s’accorde avec l’hybridation trigonale sp2, laquelle conduit aux six liaisons C—H et aux six liaisons C—C, toutes du type σ. Pour chaque C, l’orbitale atomique 2p3, non hybridée, pointe, de part et d’autre, perpendiculairement au plan de la molécule ; mais le recouvrement latéral de ces orbitales donne non pas trois liaisons  π localisées correspondant au schéma de Kekule, mais une seule orbitale moléculaire commune aux six électrons π et dont le domaine recouvre le cycle tout entier, de part et d’autre du plan de la molécule (fig. 5). On dit des liaisons π du benzène qu’elles sont délocalisées ; l’extension du domaine d’évolution des électrons π correspond à une diminution de leur énergie et, partant, à un accroissement de stabilité pour la molécule ; en termes d’énergie, cet accroissement est l’énergie de résonance, 37 kcal/mole C6H6. D’une façon plus générale, une telle délocalisation intervient lorsque, dans la molécule, deux ou plusieurs doubles liaisons sont conjuguées, comme dans le butadiène 1-4 :
CH2=CH—CH=CH2.


Liaison métallique

Les métaux sont pauvres en électrons de valence, et leur structure est compacte à l’état cristallisé : seule une extrême délocalisation des liaisons interatomiques permet, dans ces conditions, aux électrons de valence d’assurer la cohésion du cristal. Les conductibilités thermique et électrique des métaux ainsi que la possibilité d’extraire des électrons par la chaleur ou la lumière montrent que ces électrons de valence se déplacent assez librement dans le réseau rigide et ordonné des cations formés par les restes des atomes. On peut, de façon sommaire, comparer à un gaz l’ensemble de ces électrons libres du métal ; mais la théorie des bandes d’énergie fournit une description plus satisfaisante de la liaison métallique ainsi que la prévision de nombreuses propriétés. De la même façon que, dans la formation de la liaison covalente, le rapprochement des atomes substitue aux niveaux énergétiques atomiques 1s, par exemple, deux niveaux moléculaires — lorsque N atomes identiques sont assemblés pour former un cristal —, prennent naissance N niveaux énergétiques très voisins les uns des autres et que l’on dit former une bande (d’énergie) ; les bandes 1s, 2s,... peuvent renfermer au maximum 2N électrons, la bande 2p 6N électrons, etc. La couche de valence d’un métal étant loin d’être saturée, les bandes correspondantes sont incomplètement occupées ou vides ; ainsi, pour Na, la bande 3s, dite de valence, est à moitié occupée, et la bande 3p, dite de conduction, est vide ; ces deux bandes se chevauchent partiellement, et les électrons 3s peuvent sauter d’un niveau à un autre à l’intérieur de ces bandes, ce qui correspond à leur grande mobilité. À noter que, pour un cristal de diamant à liaisons localisées, les bandes 2s et 2p sont saturées ; la bande 3s est vide, mais séparée de la bande 2p par une zone interdite de plusieurs électrons-volts, zone que les électrons ne peuvent ordinairement franchir ; le diamant est un isolant.