Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lamartine (Alphonse de) (suite)

Il n’est guère question de réviser le contenu de mille vers de circonstance, affligeants et naïfs ; d’épîtres aux amis, laborieusement rimées dans un goût attardé ; de tragédies anciennes et modernes où l’on cheville ferme. La grande affaire de sa poésie, sentimentale ou engagée, a été l’apprentissage de son âme. Au chant monodique des Méditations (1820) — un événement et non une révolution — succèdent les Nouvelles Méditations (1823) et surtout les Harmonies poétiques et religieuses (1830), qui témoignent d’un lyrisme mieux nourri. La voix solitaire s’est multipliée aux dimensions de l’hymne universel à Dieu. Mais, devant les bouleversements de 1830, la découverte d’autres civilisations à travers de vastes voyages en Orient, la mort de sa fille Julia (1832), ce nouveau psalmiste affronte ses dernières mutations. Avec ses odes politiques (Contre la peine de mort, 1830 ; A Némésis, 1831 ; Sur les révolutions, 1831-32) et les Recueillements poétiques (1839), Lamartine prétend annuler définitivement le chant étroit des Méditations pour apparaître comme un prophète des Temps modernes, ou mieux comme un nouveau crucifié sur un autre Golgotha. Son âme s’est élargie aux souffrances du monde. Cette évolution à la fois mystique et humanitaire, très suspecte à l’Église, puise, comme celle de Victor Hugo et de la plupart des romantiques français, dans le fonds alimenté par les théories de Pierre Simon Ballanche (1776-1847) et de La Mennais*. Elle a besoin, pour exprimer son évangile, de retrouver le langage des civilisations naissantes, l’épopée. Lamartine songe à écrire celle de l’âme qui, déchue par la faute d’un ange, opère à travers déchirements et révolutions ses remontées successives vers le rachat total. La lumineuse Mort de Socrate (1823), le sombre Dernier Chant du pèlerinage d’Harold (1825) étaient déjà, en blanc et noir, des prémices au cycle épique des Visions, dont deux épisodes seulement, Jocelyn (1836) et la Chute d’un ange (1838), suffirent à épuiser le souffle de l’invention lamartinienne.

Devant ses aberrations de style et son dédain de la discipline formelle, notre époque, habituée à d’autres expériences de communication poétique, se demande si Lamartine a bien été poète. On peut affirmer en sa faveur qu’il a connu, lui aussi, la tentation du langage ineffable, objet de toute quête poétique. Il a souffert de comparer l’ampleur de l’inspiration qui l’exaltait avec l’infirmité de sa traduction. Comme l’ont fait plus tard Mallarmé* et Segalen*, il a rêvé du chant impossible qui « se parle à lui-même / Dans la langue sans mots, dans le verbe suprême / Qu’aucune main de chair n’aurait jamais écrit » (Pensées en voyage).

Il fut cependant un solide fils de la terre et, comme la plupart de ses compatriotes qui n’ont ossianisé ou byronisé qu’en surface, on le devine plus attentif aux réalités qu’aux rêves. S’il fallait réimprimer en priorité l’une de ses œuvres, ce serait l’ensemble de ses discours politiques antérieurs à 1848, sur lesquels règne la conspiration du silence. L’ancien légitimiste devenu par élan du cœur l’homme du « parti social » y dénonce l’immobilisme de la France de Louis-Philippe en termes incisifs qui n’ont rien de commun avec le ton approximatif du poète. Il suffirait de changer peu de mots pour que s’adapte à notre temps son analyse du malaise de la jeunesse. Il met en garde contre tout ce qui deviendra pour le xxe s. motif de guerre froide ou de rupture violente : Alger, la Grèce, la question d’Orient, le ton des relations avec la puissance russe ou avec l’Amérique. Il ne savait peut-être pas gouverner, mais il savait prévoir. Les deux qualités sont-elles d’ailleurs souvent réunies dans le même homme ? Il est encore utile pour nous de regarder cette lucidité réagissant objectivement devant des rapports de forces, sources premières des conflits.

Il sembla qu’avec les commémorations du centenaire de sa mort on ait commencé à prendre conscience de la nécessité d’un redressement de l’exégèse lamartinienne. On devait déjà beaucoup aux travaux de M. F. Guyard et de H. Guillemin, le premier s’attachant plus particulièrement à réévaluer le poète, le second à cerner l’homme social. Approches linguistique, psychocritique, thématique évolueront à leur aise sur les terrains que la désaffection ou l’ironie contemporaines ont laissés vierges. Que d’obsessions à interpréter, que de niveaux de lecture possibles, non seulement dans ses poèmes, mais aussi dans son étrange Histoire des Girondins (1847), dans ses variations autobiographiques : récits de voyages, Confidences (1849), Cours familier de littérature (1856-1869), Mémoires (publiés en 1870) ; dans ses « romans », Geneviève, histoire d’une servante (1850), le Tailleur de pierres de Saint-Point (1851), Fior d’Aliza (1863), Antoniella (1867), et dans toutes ces œuvres de dernière heure que leur prose hâtive a fait ranger parmi les productions de littérature alimentaire.

Peut-être le « dieu tombé » regagnera-t-il ainsi le droit de remonter vers « les plus hauts rayons du soleil ».

J. B.

 H. Guillemin, Lamartine, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1940) ; Lamartine et la question sociale (la Palatine, Genève, 1946). / P. L. F. de Luppé, les Travaux et les jours d’Alphonse de Lamartine (A. Michel, 1942). / M. F. Guyard, Lamartine (Éd. universitaires, 1956). / G. Poulet, Études sur le temps humain, t. III et IV (Plon, 1961 et 1968). / M. Toesca, Lamartine ou l’Amour de la vie (A. Michel, 1969). / L. Fam, Lamartine prosateur d’après le « Voyage en Orient » (Nizet, 1971). / Lamartine, le livre du centenaire (Flammarion, 1971).
On peut également consulter le numéro spécial sur Lamartine de la revue Europe, juillet-août 1969, les Actes des journées de Mâcon (1966), le catalogue de l’exposition Lamartine (1969) à la Bibliothèque nationale.

La Mennais ou Lamennais (Félicité Robert de)

Écrivain et penseur français (Saint-Malo 1782 - Paris 1854).



Un prophète

Fils d’un armateur et négociant malouin, Félicité Robert de La Mennais naît avec une santé fragile qui fera de lui un petit homme malingre, toute sa vie torturé par une compression de l’épigastre. Il est élevé par son frère Jean-Marie (1780-1860), prêtre en 1804 et fondateur en 1820 de l’institut des Frères de l’instruction chrétienne, dits « de Ploërmel ». Autodidacte, Félicité enseigne les mathématiques au collège de Saint-Malo (1804-1805), puis, sans fréquenter de séminaire, il se livre à la théologie et, presque contraint par son directeur de conscience, reçoit la tonsure et les ordres mineurs en 1809, l’année où il publie Réflexions sur l’état de l’Église en France pendant le xviiie s. et sur sa situation actuelle, ouvrage interdit par la police impériale, La Mennais y manifestant déjà son mépris pour le gallicanisme sclérosant.