Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Joliot-Curie (Irène et Frédéric) (suite)

Irène est à l’origine des plans du grand centre de physique nucléaire d’Orsay, équipé d’un synchrocyclotron de 160 MeV, mais elle n’en verra pas la réalisation. À sa mort, en 1956, son mari, tout en restant professeur au Collège de France, devient titulaire de la chaire de physique qu’elle occupait à la Sorbonne. Il consacre les deux dernières années de sa vie à la mise en route et au développement du centre d’Orsay.

Comme sa femme, Frédéric Joliot-Curie meurt relativement jeune. Les rayonnements pénétrants auxquels l’un et l’autre ont été trop longtemps exposés pendant leurs expériences ne sont sans doute pas étrangers à ces fins prématurées.

R. T.

➙ Radioactivité.

 H. Guillard, Irène Joliot-Curie (Bibl. du travail, Cannes, 1958). / L. de Broglie, Notice sur la vie et l’œuvre de Frédéric Joliot (Palais de l’Institut, 1960). / F. et I. Joliot-Curie, Œuvres scientifiques complètes (P. U. F., 1960). / P. Biquard, Joliot-Curie (Seghers, 1961).

Jolivet (André)

Compositeur français (Paris 1905).


Attiré de bonne heure par la musique, il ne peut vraiment s’y consacrer qu’après l’achèvement d’un enseignement général, ce qui explique une éclosion tardive. Il fait de solides études avec Paul Le Flem, mais c’est le contact d’Edgard Varese, dont il est le seul disciple direct de réelle importance, qui lui permet de se trouver et d’affirmer rapidement une très forte personnalité, qui éclate dès ses premiers ouvrages publiés. Le Quatuor à cordes de 1934 (demeuré hélas ! unique dans son catalogue) est la première œuvre française d’une logique atonale conséquente à base dodécaphonique (mais sans esprit de système). L’année suivante, le recueil pour piano Mana inaugure l’inspiration incantatoire, l’appel aux forces obscures et puissantes qu’expriment les rites ancestraux, qui deviendront le moteur essentiel de l’humanisme de Jolivet. Mana, œuvre d’une prodigieuse nouveauté, impressionne fortement Olivier Messiaen, auquel Jolivet se joint dès 1936 pour fonder, avec Daniel Lesur et Yves Baudrier, et sur l’initiative de ce dernier, le groupe Jeune-France, dont les membres entendent réagir contre l’intellectualisme, la frivolité et le manque d’âme des courants néo-classiques de l’époque. Leur profession de foi, largement humaniste, se résume par le slogan « sincérité, générosité, conscience », que toute la production de Jolivet illustre avec éloquence depuis quarante ans.

Au moment de la Seconde Guerre mondiale, Jolivet s’est acquis la réputation d’un des représentants les plus solides de l’avant-garde musicale. De 1945 à 1959, il est directeur de la musique à la Comédie-Française et, de 1966 à 1970, il dirige une classe de composition au Conservatoire de Paris. Néanmoins, son activité proprement créatrice ne cesse jamais de solliciter l’essentiel de sa vie, et ce sont surtout ses propres œuvres qu’il défend dans le monde entier au pupitre de direction. Son langage musical, reconnaissable entre tous, s’appuie sur une conception très personnelle de la modalité non tonale ou, si l’on préfère, d’une atonalité hiérarchisée par la prédominance de certaines notes pôles. Nombre de ses ouvrages illustrent son génie de la courbe mélodique au souffle expressif et ample, parfaitement capable de se suffire à elle-même, ainsi qu’en témoignent des monodies aussi accomplies que les Incantations pour flûte seule ou encore les Ascèses, les Églogues (alto), etc. Mélodiste de haut vol, Jolivet est également un prodigieux rythmicien, et c’est dans ces deux domaines fondamentaux du chant et du rythme que son idéal d’une musique incantatoire s’incarne le mieux. Jolivet est un artiste profondément religieux, au sens étymologique du mot (re-ligare : créer un lien entre Dieu et les hommes, entre ces derniers), ainsi qu’il le souligne lui-même. « Moyen d’exprimer une vision du monde qui est une foi », « nécessité vitale, cosmique », la musique, pour lui, est essentiellement soulevée par le souffle de l’Esprit, et sa vocation cosmique est résumée par le titre admirable d’une des Incantations : « Pour une communion sereine de l’être avec le monde ». L’Amour est un moteur essentiel de cette communion, moyen de connaissance et de communication, et c’est le message d’Épithalame pour 12 voix mixtes. Tempérament puissant, fauve même, Jolivet excelle dans ses fresques orchestrales (Danses rituelles, Symphonies) à manier un orchestre foisonnant et rude, de glaise et de granit, à la fois massif et multiple. Le sens ancestral de la lutte, du jeu-défi, sublimation de l’agressivité sexuelle, se matérialise dans sa prédilection pour le genre du concerto, qu’il cultive avec assiduité depuis qu’en 1947 il consacra le tout premier un concerto aux ondes Martenot. Parmi cette douzaine de partitions, d’une étonnante diversité, on trouve des pages sauvages et agressives (concerto pour piano, objet d’un scandale mémorable lors de sa création à Strasbourg en 1951), d’autres légères et plaisantes (concertino pour trompette, concerto pour basson), d’autres encore lyriques et intimes (concerto pour harpe). Les œuvres plus récentes, en particulier les deux admirables concertos pour violoncelle (le premier instrument dont il joua lui-même), témoignent d’un approfondissement de l’expression, qui se fait fraternelle et grave davantage encore qu’auparavant.

On a bien sommairement schématisé l’évolution de Jolivet en définissant une période « fauve » (jusque vers 1940), puis, pendant la guerre, une période de dépouillement modal et de simplification, à quoi aurait succédé une période de synthèse. En réalité, sa production illustre la permanence de courants parallèles d’inspiration, dont le caractère conditionne tout naturellement celui du langage : si la grande et émouvante fresque de l’oratorio la Vérité de Jeanne (1956) retrouve la simplicité directe de réussites désormais classiques, comme la Suite liturgique (1942), la violence abrupte et l’audace de la première sonate pour piano (1945) ne le cèdent en rien à celles des Danses rituelles. Au sein de ce catalogue si varié, englobant tous les genres, de l’opéra et du ballet aux petites pièces didactiques, bien des réussites encore seraient à citer, en particulier les œuvres pour petite formation instrumentale et celles où Jolivet intègre avec une grande originalité la percussion au dialogue concertant (Suite en concert pour flûte, Heptade pour trompette). Insensible aux fluctuations rapides de la mode, Jolivet demeure fidèle à lui-même, tout en évoluant de manière lucide et féconde. Son œuvre prête à l’école française contemporaine une dimension de générosité et de force irremplaçable.