Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Japon (suite)

Mais les plus actifs artisans de cette réaction sont les jeunes gens du groupe Shirakaba (« le Bouleau »), créé en 1910 autour de la revue de ce nom. Se réclamant de Mori Ōgai, de Tolstoï, de Maeterlinck, ils professent un idéalisme généreux et utopique qui ne résistera guère au déferlement du socialisme de l’après-guerre. Quelques écrivains estimables se détachent de ce groupe : Arishima Takeo (1878-1923), dont nous retiendrons Aru Onna (Une femme, 1919) ; Mushanokōji Saneatsu (né en 1885), auteur de romans, de pièces de théâtre et d’essais ; surtout Shiga Naoya (1883-1971), que l’on a pu comparer à André Gide et qui, à côté de centaines de contes ou de nouvelles, publia en deux fois, en 1921 et en 1937, l’un des grands romans du demi-siècle, Anya-kōrō (la Route dans les ténèbres), autobiographique dans une large mesure.

Le plus authentique des écrivains de Taishō, en marge de toutes les modes et écoles, est cependant Akutagawa* Ryūnosuke (1892-1927). Révélé par Natsume Sōseki peu avant sa mort, il se signalait bientôt par une série d’écrits d’inspiration très diverse : récits du Japon ancien empruntés au Konjaku-monogatari, « légendes chrétiennes » du xvie s., fragments autobiographiques, satire politique et sociale, recueils d’aphorismes, enfin, à la fin de sa vie.


L’ère Shōwa (depuis 1926)

La vie littéraire est de plus en plus dominée par des impératifs politiques. Pour des raisons évidentes, il faut distinguer deux périodes : avant et après 1945.

• Avant 1945. Après 1918 s’étaient constitués des cercles d’écrivains de gauche, qui se regroupèrent en 1928 dans la NAPF (Nippona Artista Proleta Federacio), la « Fédération des artistes prolétaires », bientôt déchirés par des dissensions qui reflétaient les remous internes du parti communiste japonais, dissensions qui se doublaient d’une polémique avec les « néo-sensationistes » ; les principaux représentants de cette dernière tendance, qui se réclamait de Paul Morand, furent Yokomitsu Riichi (1898-1947) et Kawabata* Yasunari, qui deviendra l’un des grands écrivains des années 50.

Parmi les prolétariens que les suites de l’« incident de Mandchourie » (1931) allaient bientôt réduire au silence, citons Kobayashi Takiji (1903-1933), militant communiste qui mourut au cours d’un « interrogatoire » de police ; son admirable Kani-kōsen (le Bateau-usine, 1929), le meilleur sans doute de tous les romans « prolétariens », est en même temps un pamphlet d’une rare violence.

Seuls quelques romanciers déjà « arrivés » pourront, dans les dix années qui suivent, poursuivre leur œuvre dans la mesure où elle reste éloignée des préoccupations politiques. Tel Tanizaki* Junichirō (1886-1965), qui, lui-même, en 1941, lorsque la censure interrompt la publication de son chef-d’œuvre, Sasame-yuki (Fine-Neige), renonce à cette voie pour se consacrer à la traduction du Genji-monogatari en langue moderne.

• Après 1945. Dans un premier temps paraissent des œuvres dont la publication avait été retardée par les événements — ainsi Sasame-yuki en 1948 —, mais aussi et surtout une abondante littérature de témoignages plus ou moins romancés. Citons Noma Hiroshi (né en 1915), auteur de Kurai-e (Sombre Tableau, 1946), Shiina Rinzō (né en 1911) et son Banquet de minuit (Shinya no shuen, 1947), Umezaki Haruo (1915-1965) pour la Fin du jour (Hi no hâte, 1947), et surtout les Feux dans la plaine (Nobi, 1950) d’Ōoka Shōhei (né en 1909), d’une intensité dans l’horreur rarement atteinte.

Vers 1950, la littérature pure reprend ses droits. Kawabata Yasunari entame, jusqu’à son suicide tragique, une seconde carrière avec des romans d’un style très travaillé, aux limites de la préciosité, dont les traductions lui vaudront en 1968 un prix Nobel contesté par des critiques qui lui pardonnent mal certains romans-feuilletons diffus et verbeux.

Itō Hitoshi (Sei) [1905-1969] posait le problème de la liberté de l’artiste dans les réflexions inspirées par le procès que lui valut sa traduction de l’Amant de lady Chatterley (1950). L’apparition des moyens de diffusion massive favorise certains auteurs à succès : Mishima Yukio (1925-1970), dont le talent incontestable est souvent gâté par un goût de l’exhibition publicitaire et de la provocation gratuite qu’il manifestera jusque dans sa mort ; Ishihara Shintarō (né en 1932) et sa Saison du Soleil, dont la violence fit scandale (1955) ; Ōe Kenzaburō (né en 1935), dont la réputation, surfaite peut-être à ses débuts, semble en définitive de meilleur aloi.

R. S.

 W. G. Aston, Japanese Literature (Londres, 1899). / K. Florenz, Geschichte der japanischen Litteratur (Leipzig, 1906). / Grand Dictionnaire de la littérature japonaise (en japonais, Tōkyō, 1950-1952 ; 8 vol.). / D. Keene (sous la dir. de), Anthology of Japanese Literature. Earliest Era to Mid-Nineteenth Century (New York, 1955) ; Modern Japanese Literature. From 1868 to Present Day (Londres, 1956). / R. Sieffert, la Littérature japonaise (A. Colin, 1961). / I. Morris, Dictionary of Selected Forms in Classical Japanese Literature (New York et Londres, 1966). / Anthologie de la poésie japonaise classique (Gallimard, 1971).
On peut également consulter la collection « Connaissance de l’Orient » (Unesco-Gallimard), qui publie des traductions d’œuvres classiques et modernes.


Le théâtre japonais

À deux reprises au cours de son histoire, le Japon a inventé des formes d’art dramatique originales, et cela dans des conditions telles que l’étude de leur genèse peut apporter d’utiles éléments de comparaison à l’historien du théâtre aussi bien qu’au sociologue. Il s’agit bien, en effet, d’invention au sens plein du terme, car si l’on a pu, parmi les emprunts que ce pays fit à la Chine au viiie s., recenser certaines formes de spectacle, il ne s’agit en aucun cas de théâtre proprement dit, et encore moins de théâtre littéraire ; une abondante documentation permet, d’autre part, de suivre pas à pas le processus d’élaboration du au xive s., du jōruri et du kabuki au xviie s. et d’affirmer qu’aucune influence extérieure n’a pu jouer à ces moments-là. Le hasard, seul, peut-il alors expliquer le parallélisme des démarches et l’analogie des structures de ce théâtre et de celui de l’Occident ? Ne s’agit-il pas de constantes qui régissent ce mode d’expression quels que soient le temps et le lieu ?